Parqués au sein d’un enclos au décor en carton-pâte supposé rappeler leur milieu naturel, ils déambulent tels des fantômes, sous le regard hébété et assoiffé d’exotisme d’une foule de badauds.
Même s’il s’agit bien-là de la description d’un zoo, ce ne sont pourtant pas des animaux qui y sont exhibés, mais bel et bien des hommes, des femmes et des enfants.
Le terme « zoo humain » a été popularisé dans les années 2000 avec plusieurs écrits de références tels que « Zoos humains ; De la Vénus Hottentote aux reality show » (Nicolas Bancel, Pascal Blanchard, Gilles Boëtsch, Éric Deroo et Sandrine Lemaire) et décrit des expositions ethnologiques, « spectacles zoologiques » ou « villages nègres » dans lesquels des individus dits exotiques étaient mis en scène selon la vision que la société avait de leur culture et manière de vivre, avec ou sans des bêtes sauvages derrière des cages ou enclos.
Une célébrité malgré elle
Nous sommes en 1810. Une jeune esclave du nom de Saartjie Baartman, née dans l’actuelle Afrique du Sud et fraîchement arrachée à sa tribu, est emmenée par son maître à Londres, où elle sera exposée derrière les barreaux d’une cage, entièrement nue.
Quatre ans plus tard, c’est à travers toute l’Europe qu’elle et d’autres « indigènes » littéralement déracinés seront traînés de zoos en zoos, de cirques en foires aux monstres.
Le 29 septembre 1815, c’est à Paris que les badauds se presseront au numéro 188 de la rue Saint-Honoré pour « admirer » celle que l’on surnomme désormais « La Vénus hottentote », moyennant la modique somme de 2 à 3 francs.
L’histoire de Saartjie Baartman s’arrêtera finalement deux mois plus tard, vraisemblablement des suites d’une pneumonie. Jusqu’en 1878, le moule de son corps sera exposé au Jardin des Plantes à Paris, et ne sera rendu à l’Afrique du Sud qu’en 2002.
SciencePhotoLibrairy
Attraction phare de l’époque coloniale, l’heure de gloire des zoos humains s’étale des années 1870 à 1940, attirant 1,5 milliard de visiteurs en Europe et aux Etats-Unis.
Les voyages étant à cette époque réservés à l’élite, la foule se presse à Berlin, Paris ou encore Londres pour scruter les moindres faits et gestes de ces « sauvages » directement importés des colonies d’Amérique du Sud, d’Afrique, d’Asie ou d’Océanie.
Des hommes, des femmes et des enfants donc, exhibés et épiés à longueur de temps, alors qu’ils déambulent dans des villages factices délimités par de hautes barrières ou des vitrages. En costumes traditionnels et contraints de cohabiter avec des animaux partageant leur triste sort, ils n’ont ainsi d’autre choix que de continuer à vivre, manger, se laver, dormir et même accoucher… tout cela sous les regards dérangeants d’une armada de curieux.
Une femme javanaise – World’s Columbian Exposition à Chicago dans l’Illinois (Daily Mail 2017)
Le village nègre de Paris
Le 1er janvier 1877, un article paru dans le journal La Comédie relate l’arrivée, au sein même du Jardin d’Acclimatation de Paris, d’un « intéressant convoi d’animaux », formé entre autres de girafes, d’éléphants et d’autruches, mais aussi de « magnifiques noirs » nubiens aux « corps demi-nus ».
En 1889, à l’occasion de l’Exposition Universelle, l’esplanade des Invalides à Paris devient le théâtre de la propagande colonialiste. Au sein d’un enclos baptisé « Le village nègre », 400 africains sont alors exhibés dans l’unique but de promouvoir et prouver la supériorité et la réussite des hommes blancs dans leur entreprise de conquête de territoires à travers le globe.
La foule se rue en masse, n’hésitant pas à faire la queue des heures durant pour obtenir un ticket, sans se douter un instant que bon nombre de ces attractions humaines meurent en coulisses, victimes de l’exil, du climat français ou encore des mauvaises conditions sanitaires.
Cette même foule, à laquelle on promet de découvrir ces êtres exotiques dans leur milieu naturel, au cœur de mises en scène qui pourtant ne reproduisent en rien les véritables mœurs et coutumes des territoires colonisés. En effet, les zoos humains versent volontiers dans le sensationnel, axant leur mascarade sur le cannibalisme, les scarifications, les danses frénétiques ou encore la polygamie.
La domination européenne sur ses colonies y est donc présentée sous un éclairage volontairement exotique et sauvage, donnant ainsi l’impression aux « bonnes gens » que ces « indigènes » peuvent aisément être domestiqués et intégrer à la civilisation, comme n’importe quel animal sauvage, déjà parqué depuis longtemps dans des zoos et autres cirques.
C’est au lendemain de la guerre 14-18 que les zoos humains connaîtront leur apogée. Entreront alors en scène des recruteurs et autres impresarios, dont certains s’occupaient auparavant du trafic d’animaux sauvages alimentant les zoos et les cirques.
Il faudra attendre l’exposition coloniale internationale de 1931 à Paris pour voir s’élever les premiers mouvements de contestation à l’encontre des zoos humains, la presse s’emparant enfin de la polémique à bras le corps aux côtés de la Ligue des Droits de l’Homme et du Parti Communiste.
La propagande coloniale se reconvertira plus tard en spectacles itinérants présentés dans différentes grandes villes d’Europe, et notamment en France.
Aujourd’hui, ces pratiques d’un autre âge nous semblent à tous inconcevables, inimaginables, si lointaines. Pourtant, force est de constater que nous continuons de perpétrer de telles aberrations.
En effet, bien avant que l’Homme ne mette en cage ses propres congénères, l’animal avait déjà fait les frais de sa soif de supériorité et de domination. Et aujourd’hui, il est évident que ce processus de hiérarchisation est toujours d’actualité, puisque des milliers d’êtres sensibles à travers le monde continuent d’être capturés, détenus en captivité et exhibés au regard d’une foule en mal d’exotisme, au nom du divertissement, voire même de la préservation des espèces ou encore du droit à l’éducation.
En vérité, tout comme à l’époque des zoos humains, c’est bel et bien l’argent qui continue de faire tourner ce système on ne peut plus rôdé, tout comme celui de tous les spectacles mettant en scène des animaux que l’on contraint à vivre au sein d’un milieu qui n’est pas le leur et que l’on force à réaliser des tours contre-nature.
« Si la cruauté humaine s’est tant exercée contre l’homme, c’est trop souvent qu’elle s’était fait la main sur les animaux », écrivait Marguerite Yourcenar.
Si l’Homme n’avait pas mis un jour un animal en cage et saisi aussitôt tout le pouvoir qu’il pouvait en dégager, aurait-il seulement songé à y placer alors un autre être humain ?
Julie Guinebaud
Aller plus loin & Sources
https://www.retronews.fr/colonies/echo-de-presse/2018/03/21/le-village-negre-lintolerable-zoo-humain-de-paris
https://www.monde-diplomatique.fr/2000/08/BANCEL/1944
https://lejournal.cnrs.fr/articles/a-lepoque-des-zoos-humains
Photos : https://www.dailymail.co.uk/news/article-4323366/Photos-reveal-horrifying-human-zoos-early-1900s.html
https://www.youtube.com/watch?v=EdBYdgieIeo