Ce texte est une fiction proposée par Opportune Coste
Le soleil inonde la place du marché aux fleurs ;
à Wuhan le printemps éclate de toute sa puissance.
Le jeune Liang trie les herbes médicinales pour les lier en fins bouquets
qu’il dispose ensuite sur l’étal de son herboristerie.
Assis sur un tabouret à l’arrière de la petite échoppe le vieux Meng,
son grand-père, tortille nerveusement son mouchoir entre ses mains tremblantes…
il essuie furtivement une larme en psalmodiant comme une litanie
« J’ai honte, tellement honte… ».
-Allons grand-père, ne pleure plus, c’est fini tout ça maintenant,
c’est le passé !
lui murmure doucement Liang.
-Pas pour moi ! Je ne peux pas oublier… j’ai honte, tellement honte ! ânonne le vieil homme entre deux sanglots.
Liang lui passe tendrement un bras autours des épaules en lui susurrant : « Allons, allons, calme toi, tout va bien.
Aujourd’hui, regarde comme notre commerce de plantes médicinales est florissant ».
-Mon commerce aussi était prospère, gémit le vieillard, c’est ça qui me fait tellement honte !
Tous ces animaux sauvages vivants, ça se vendait si facilement…
Les chauves-souris, les pangolins, les rats, les tortues,
on en avait des centaines entassées dans des cages accrochées à notre étal du marché.
Peu à peu quelques clients se sont attroupés autour de la petite boutique et hochent la tête tristement.
– Ne parle plus de tout ça grand-père, ça fait du mal à tout le monde !
gronde Liang
– Mais si, il faut en parler; pour que personne n’oublie cette folie !
C’était la loi de l’époque, le commerce des animaux pour la médecine…
un commerce gigantesque !
Moi, je n’étais qu’un des maillons de la chaine …
Les braconniers fournissaient les marchés et, nous, les animaux on les revendait aux clients ;
on les vendait vivants, parce qu’ainsi leur viande se vendait encore plus cher.
Les badauds baissent le regard, accablés…
– Le pangolin, on le vendait pour les vertus médicinales de ses écailles ;
les tortues pour leur chair et leur carapace réputée soigner les maladies du foie et des reins.
Et la demande était énorme aussi pour les chauves-souris ou les écureuils… On vendait toutes les espèces d’animaux sauvages à prix d’or !
Une rumeur de réprobation gronde dans l’attroupement maintenant massé autour du commerce de Liang…
– On avait bien entendu parler, il y a plusieurs années, de quelques cas de maladies chez des consommateurs de viande de chauve-souris ;
mais on a accusé les occidentaux de répandre de fausses rumeurs,
alors le commerce des animaux sauvages a continué, comme avant, toujours plus rentable…
Les braconniers faisaient fortune, et nous aussi !
Mais le petit Liang, au fond de son cœur, lui, je crois qu’il savait …!
Enfant déjà, il volait les cages la nuit pour aller libérer les animaux dans la forêt.
Pourtant, il en recevait des corrections, vous pensez…oser gaspiller cette précieuse marchandise !
Mais il a continué… malgré notre colère et les punitions ; c’est comme s’il avait pactisé avec les animaux …il en a libéré des centaines !
Tous les jours sur le marché, il allait d’une boutique à l’autre, ouvrant discrètement les cages pour que les animaux tentent de fuir …
Plus tard, quand il a grandi, il a essayé d’expliquer aux commerçants du marché :
– Relâchez ces animaux, vous voyez bien qu’ils souffrent !
Ils sont entassés les uns sur les autres comme des objets ;
ils sont terrorisés, la moitié d’entre eux est malade…
ils vont mourir… !
Vous n’avez pas le droit de les traiter comme ça, vous insultez la Nature, vous verrez, un jour …
elle se fâchera et ça finira mal !
Les marchands s’esclaffaient, certains le traitait d’illuminé …
Le trafic et la vente des animaux continuait de prospérer…
– Et puis, en 2020, LA maladie est arrivée !
D’abord quelques cas en ville chez des clients du marché, puis dans toute la région. La maladie se propageait comme un incendie…
Des milliers de chinois sont morts en quelques semaines.
Puis la maladie a traversé les océans, gravi les montagnes, survolé les volcans, pour ne laisser aucune zone de la planète indemne de son fléau…
Les scientifiques de tous les pays désarmés devant ce virus ont laissé l’humanité dans un total désarroi ;
pas de traitement, pas de vaccin, l’espèce humaine comptait ses morts, impuissante, terrassée comme un boxeur ko.
Dans la foule dense maintenant massée autour de l’herboristerie,
nombreux sont ceux qui fondent en larmes …
- J’ai vu ma femme périr asphyxiée par les quintes de toux qui ne lui laissaient plus aucun répit, ni le jour, ni la nuit.
Mes enfants contaminés les uns après les autres sont tous morts,
il n’y avait même plus de place à l’hôpital pour tenter de les soigner
Toute ma famille a péri, sauf lui, Liang…
Moi, je crois que c’est l’âme du règne animal qui l’a protégé …
peut-être les animaux l’avaient-ils reconnu comme l’un des leurs ?
Il a survécu à cette terrible épidémie.
Et il a consacré toute sa vie à faire cesser le commerce des animaux sauvages; il a expliqué encore et encore…aux clients, aux marchands…
Il n’a pas eu peur de dénoncer les trafiquants et les importateurs ;
il a interpellé les plus hauts responsables politiques…
et il a gagné !
La capture et la vente d’animaux sauvages sont maintenant sévèrement punies par la loi.
La médecine traditionnelle a évolué, elle s’est entièrement tournée vers les ressources végétales…
Les animaux ont enfin retrouvé la paix dans la jungle, et la médecine traditionnelle n’utilise plus que les plantes pour ses remèdes.
« Hourra ! » crie la foule,
qui déroule maintenant un long cortège portant Liang en triomphe tout autour du marché !
Le vieux Meng, est resté seul.
Il sèche ses larmes et murmure encore tout bas :
Je demande Pardon…j’ai honte, tellement honte.