On dénombre à l’heure actuelle une centaine d’espèces différentes de grenouilles de verre de la famille des Centrolenidae ou Centronlénidés, vivant en Amérique Centrale et en Amérique du Sud. Arboricoles, elles vivent en haut des arbres des forêts tropicales et montagneuses, à proximité des cours d’eau, un environnement essentiel à leur reproduction.
D’où vient l’appellation « grenouilles de verre » ?
On pourrait parler de grenouilles « double face » : Vues du dessus, elles semblent plutôt ordinaires, avec leurs motifs bien dessinés teintés de vert-jaune. Mais vues d’en dessous, elles sont transparentes comme le verre, d’où leur nom : on peut voir leurs organes internes, et même la nourriture en train d’être digérée !
Un camouflage hors pair
Extraordinaire, mais pas unique, la grenouille de verre partage sa spécificité avec de nombreux autres animaux (planctons, méduses…) qui se défendent ainsi des prédateurs à travers une technique de camouflage très efficace. La transparence efface les contours des grenouilles en fonction de la luminosité, les rendant ainsi difficilement visibles de leurs prédateurs.
Une récente étude, menée par Becca Brunner, R. M., & Juan Guayasamin, J. M en 2020 (Nocturnal visual displays and call description of the cascade specialist glassfrog Sachatamia orejuela. Behaviour) nous apporte de nouveaux éléments fascinants sur cette espèce encore peu connue et pourtant passionnante !
Vidéo Code Animal au Costa Rica / Février 2021
L’ingénieux mode de communication de la grenouille de verre nocturne
Certaines espèces de grenouilles savent communiquer visuellement. Une chercheuse a découvert qu’une espèce de grenouille de verre nocturne, Sachatamia orejuela, vivant dans les zones de pulvérisation des chutes d’eau, combinait cette particularité à un mode de communication acoustique.
Becca Brunner, doctorante à l’Université de Californie à Berkeley, fournit la première description connue de cet appel auditif et explique cette découverte dans une interview à Mongabay : alors qu’elle enregistrait l’appel d’une grenouille de verre, elle s’est rendu compte que la grenouille effectuait des battements avec ses pattes avant et arrière tout en secouant la tête.
Un phénomène d’évolution convergente comportementale
Brunner souligne que même si d’autres espèces ont développé ce mode de communication via des signaux visuels- notamment les espèces Hylodes japi au Brésil, Micrixalus saxicola en Inde et Staurois latopalmatus-, le fait qu’elles vivent sur d’autres continents et appartiennent à d’autres familles montre que ces comportements ont évolué séparément : sur le plan biologique, il s’agit d’évolution convergente comportementale. Ce phénomène se retrouve par exemple dans la fuite : « les oiseaux et les chauves-souris volent tous les deux, mais ils n’ont pas vraiment de similarités les uns avec les autres [puisque] l’un est un mammifère et l’autre un oiseau. Pourtant, ils ont développé ces manières distinctes de le faire, mais pour les mêmes raisons. »
Ce mode de communication diffère selon les espèces, mais sa fonction serait la même : elle pourrait être interprétée, selon Brunner, comme un moyen supplémentaire d’attirer les femelles (en ayant plus de chances d’être repérés grâce à l’élément visuel) ou de revendiquer un territoire. Elle y voit en tous cas un formidable modèle d’adaptation, puisque la grenouille a développé ce mode de communication dans un environnement particulièrement bruyant.
De l’importance de l’exploration du terrain
L’espèce, que l’on trouve dans les forêts et les zones humides de l’Équateur et de la Colombie, est classée comme espèce de « moindre préoccupation » par l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) ; pourtant, les populations semblent diminuer principalement en raison de la pollution de l’eau par les produits chimiques utilisés dans les cultures illégales.
Le co-auteur de l’étude, Juan Guayasamin, expert en grenouille de verre et professeur à l’Université San Francisco de Quito, en Équateur, explique à quel point cette découverte est unique : « Nous (batrachologues) nous sommes toujours demandé comment les grenouilles communiquaient dans des environnements où le bruit est extrêmement fort, comme les cascades », a-t-il déclaré à Mongabay. « Il faut une personne très engagée pour le découvrir. Observer des grenouilles de verre dans ces conditions (des tonnes d’eau tombant sur la tête) est presque impossible. Becca a réussi à les observer et, d’une certaine manière, même à les enregistrer. »
Il a dit que cette découverte était quelque peu surprenante puisque les comportements « ondulants » sont généralement observés chez les espèces diurnes, et non nocturnes comme S. orejuela.
« [Nous] avons toujours travaillé en supposant que [l’espèce] avait juste un appel très aigu à communiquer », a-t-il déclaré. « Parfois, il est vraiment agréable de se tromper. » D’après Brunner, cette haute fréquence est sans doute l’une des raisons pour laquelle l’appel auditif de S. orejuela n’avait pas été enregistré jusque-là.
Il a ajouté : « Je pense que le principal message à retenir est que le travail approfondi sur le terrain aboutit toujours à trouver l’inattendu. À une époque où la plupart des étudiants passent leur temps dans les laboratoires, nous devons faire un effort pour explorer et comprendre la nature. »
Daphné Turpin
Sources :
- Il existe des grenouilles « de verre » à la peau transparente – Par Jennifer Matas | Publié le 07.11.2020
- « Well, hello there: Glass frogs ‘wave’ to communicate near noisy waterfalls », par Elizabeth Claire Alberts le 21.01.2021
https://news.mongabay.com/
- Images crédit : Wikipédia