Les animaux malades de la captivité : Les problèmes comportementaux dans les zoos

Disclaimer : le sujet de la stéréotypie en captivité est un sujet complexe qui est la somme de diverses problématiques entremêlées. Il ne s’agit pas dans ce dossier de faire un exposé exhaustif de la situation puisque ces sujets sont en constante évolution et discussion dans la communauté scientifique. Il s’agit ici de dégrossir le sujet à l’aide de thèses publiées et d’articles de médias afin de donner des pistes de réflexion à nos lectrices et lecteurs.

Photos credit : Code animal, Paris, septembre 2023.

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« Il n’est ni beau visage humain, ni pelage de neige, ni penne d’azur qui m’enchantent, s’ils sont marqués de l’ombre intolérable et parallèle des barreaux. » (Colette)

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Table des matières

  1. I) Les comportements anormaux chez les animaux captifs des zoos. 3

1)     Définition du bien-être. 3

2) Définitions des principaux comportements anormaux : Stéréotypies, troubles compulsifs et comportements répétitifs. 4

3) Relation entre les comportements anormaux et le bien-être. 6

  1. II) Problématiques liées à la captivité. 8

III)        Stéréotypies et pathologies qui peuvent en découler. 11

1) Les différentes manifestations. 11

2) Aspects physiologiques et neurologiques, la notion de stress. 12

  1. IV) L’”enrichissement”, un concept utilisé dans les zoos. 14

Des animaux sous anti-dépresseurs ?. 16

En conclusion.. 18

Sources. 19

 

 

I) Les comportements anormaux chez les animaux captifs des zoos.

1) Définition du bien-être 

Le bien-être se caractérise comme un état physique et mental qui découle de la satisfaction des besoins physiologiques et comportementaux essentiels. Un individu en état de bien être est donc en harmonie avec son environnement et il s’y adapte facilement (Broom, 1986). On peut dès lors en déduire qu’un individu s’adaptant sans difficultés majeures à son environnement aura un niveau de bien-être élevé, alors que si cela lui demande beaucoup d’efforts, il sera en état de mal-être, synonyme de souffrance et de stress (Mason, 1971).

L’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) en 2018 a défini le bien-être d’un animal comme « l’état mental et physique positif lié à la satisfaction de ses besoins physiologiques et comportementaux, ainsi que de ses attentes. Cet état varie en fonction de la perception de la situation par l’animal ».

Le bien-être est un concept multifacette et pluridimensionnel dans lequel la perception et les émotions de l’individu sont cruciales. Bien souvent, la notion de bien-être est confondue avec celle de bientraitance. Or la bientraitance se réfère aux moyens mis en œuvre pour assurer le bien-être animal.

Par la captivité, l’humain impose aux animaux un environnement avec des paramètres spatiaux, sociaux, nutritionnels, climatiques très différents de ceux retrouvés en milieu naturel. Ils sont alors contraints de s’adapter à ces nouvelles conditions mais tous n’y parviennent pas.

Le taux de mortalité infantile, les problèmes de reproduction, la durée de vie, la résistance aux maladies opportunistes, la présence de comportements anormaux sont des critères d’évaluation permettant de quantifier et qualifier l’impact de la captivité sur la vie et le bien-être des animaux.

 

2) Définitions des principaux comportements anormaux : Stéréotypies, troubles compulsifs et comportements répétitifs

Les stéréotypies se définissent comme des comportements répétitifs, invariants, sans but ou fonction apparents (Mason, 1991). Elles ont été initialement décrites chez les animaux sauvages maintenus en captivité, puis les chercheurs ont généralisé cette notion aux animaux domestiques. Il s’avère qu’il s’agit du comportement anormal le plus observé en milieu captif, sur les animaux de laboratoire, de ferme (avec l’élevage intensif surtout les élevages porcins et aviaires) et même sur les animaux de compagnie. Un comportement est une réponse à une situation, à une stimulation extérieure.

Pour les animaux détenus dans les zoos, Mason et al. en 2007 estiment (d’après les données disponibles de l’époque) à plus de 10 000 le nombre d’individus présentant des stéréotypies dans le monde. Elles sont considérées comme des comportements répétitifs causés par de la frustration, des tentatives infructueuses de s’adapter à l’environnement ou un dysfonctionnement du système nerveux central. Ce trouble est généralement accentué chez des individus placés dans des conditions de stress (Mason, 2006).

Extrêmement rare en milieu naturel, c’est à contrario le comportement anormal le plus fréquemment observable sur les animaux captifs, principalement ceux maintenus dans un milieu pauvre en stimuli.

En 2006, Mason affine la définition en mettant l’accent sur les facteurs biologiques à l’origine des stéréotypies, en délaissant un peu les aspects phénotypiques peu précis et difficiles à mesurer, comme le degré de variabilité par exemple.

De plus en plus, le fait que les stéréotypies n’aient aucun but est remis en question, on les définit plus facilement maintenant de « comportements répétitifs induits par la frustration, par des tentatives d’adaptation et/ou par une dysfonction cérébrale ».

On parle de comportements anormaux pour plusieurs raisons :

  • Ce sont des activités naturelles qui ont été déviées en contexte captif, l’individu n’ayant pas la possibilité d’exprimer le vrai comportement, comme la chasse, l’exploration du territoire (Mason et al., 2007). Les stéréotypies sont majoritairement des comportements faisant partie du répertoire comportemental de l’espèce mais ils diffèrent dans leur expression par rapport à la majorité des individus de l’espèce. Ils sont souvent exagérés ou exprimés en dehors du contexte habituel et peuvent interférer avec la vie quotidienne de l’animal (Hewson et Luescher, 1996).
  • Ils vont souvent de pair avec d’autres troubles, principalement la persévération, qui est l’inaptitude à arrêter un comportement alors que le stimulus n’est plus présent, on a aussi souvent de l’agressivité, une perte de sociabilité.

Il faut cependant souligner et faire la différence avec le fait que dans la nature, les animaux ont de nombreuses habitudes qui rythment leurs journées (Eilam et al., 2006) : ils ont des endroits préférés et des moments préférés pour s’y rendre et s’y attarder. Ils privilégient des chemins pour se rendre d’un point à l’autre, sans varier dans les itinéraires. Beaucoup d’animaux ont des rituels, des routines qui leur permettent de se « concentrer » sur d’autres aspects de leur environnement, les rendant ainsi plus réactifs, plus rapides à répondre à des stimuli éventuellement dangereux pour leur survie. Leur cerveau peut se concentrer sur les éléments nouveaux, le reste étant plus ou moins automatisé.

La différence entre un comportement rituel et une stéréotypie, c’est la répétition uniforme de certains mouvements, la rigidité selon laquelle une action est répétée dans le temps et dans l’espace.

Les troubles compulsifs ou TOC (Trouble Obsessionnel Compulsif) ont été caractérisés chez l’animal par Overall (1992) comme un « comportement stéréotypé et ritualisé dont le besoin de le réaliser ou dont la réalisation interfère de façon sévère avec le fonctionnement normal de l’individu » (Overall, 1992). Cet acronyme chez l’humain est le nom donné à un trouble anxieux accompagné d’obsessions et de compulsions.

Ces obsessions sont des pensées ou des images intrusives qui surgissent de façon répétée et incontrôlable. On ne peut affirmer que les animaux aient ces pensées ou ces images intrusives, c’est pourquoi certains auteurs utilisent plutôt le terme de « troubles compulsifs », (sans le mot obsession), qu’ils caractérisent comme « des comportements ayant initialement un but, associés à un conflit ou une frustration et qui s’expriment en dehors du contexte habituel de façon exagérée et durable » (Hewson et Luescher, 1996).

Le terme « trouble compulsif » se définit comme un comportement ayant un but, initialement associé à de la frustration ou un conflit, mais qui se manifeste ensuite hors de son contexte initial, et qui paraît anormal parce qu’il est hors de son contexte, répétitif, exacerbé ou maintenu (d’après Hewson et Luescher, 1996). On peut citer par exemple toute manipulation excessive du corps, qui peut être non agressive (toilettage excessif, poils arrachés) ou agressive (morsure, claques), et qui est à différencier d’une stéréotypie car le comportement peut varier (Vickery et Mason, 2004). 

Les comportements répétitifs ou stéréotypés regroupent tous les comportements répétitifs sans considérer le mécanisme qui en est à l’origine. Mills et Luescher (2006), proposent une distinction entre « stéréotypie » et « comportement stéréotypé » : le terme « comportement stéréotypé » est utilisé pour décrire des comportements qui sont répétitifs mais dont on ne connaît pas le mécanisme. Il s’agit donc d’un terme descriptif qui ne tient pas compte de la cause sous-jacente, et qui regroupe aussi des comportements non anormaux. Les stéréotypies sont alors décrites comme un sous-ensemble de comportements stéréotypés dont on connaît le mécanisme sous-jacent, c’est-à-dire des manifestations de persévération récurrente ou continue d’un comportement, associées à un dysfonctionnement cérébral. Donc Mills et Luescher emploient le terme « comportement stéréotypé » pour tout comportement répétitif, sans but apparent, même s’il présente une certaine variabilité, réservant ainsi le terme « stéréotypie » pour les formes plus prédictibles donc invariables, causées par un dysfonctionnement cérébral particulier.

 

3) Relation entre les comportements anormaux et le bien-être

Le rapport entre l’expression de stéréotypies et le bien-être n’est pas si simple à définir (Mason et Latham, 2004) car la stéréotypie est une réaction face à un environnement aversif, un moyen de faire face à cet environnement. C’est une sorte de mécanisme de défense face à un environnement qui ne répond pas aux besoins physiologiques de l’individu.

Il n’y a pas de preuve formelle prouvant que les comportements répétitifs aident les animaux à s’adapter. Mais comme il s’agit d’une réaction face à un environnement défavorable, ces comportements, au moins aux stades débutants, peuvent être considérés comme une tentative d’adaptation de l’organisme.Certains auteurs ont suggéré que dans un environnement suboptimal, les animaux qui expriment des comportements répétitifs pourraient avoir un niveau de bien-être moins dégradé que ceux qui n’en expriment pas,et ce pour plusieurs raisons (Mason, 1991;  Mason et Latham, 2004) :

– Leur expression est souvent corrélée à une diminution des modifications physiologiques. Par exemple, les fréquences cardiaques et les taux de corticoïdes sont moins élevés chez les animaux présentant des comportements répétitifs que chez ceux qui n’en expriment pas dans des conditions non optimales de bien-être (Mason et Latham, 2004).

– Ils peuvent constituer un substitut au comportement que l’environnement ne permet pas d’exprimer. L’animal réalise son propre enrichissement du milieu, appelé en anglais « do-it- yourself enrichment » (Mason et Latham, 2004).

– Leur nature répétitive et prédictible entraîne un effet apaisant qui pourrait permettre de réduire le stress de l’animal (Cabib, 2006 ; Mason, 1991).

Ils sont en tous cas un indicateur de mal-être par rapport à un animal qui n’a pas de difficulté à s’adapter. Broom (1991) a établi que les stéréotypies sont un signe d’alerte lorsqu’elles occupent plus de 10% du temps des animaux, tandis que Mason (1991) suggère que le bien-être est déficient lorsque l’incidence des stéréotypies dépasse 5% dans une population donnée.

 

II) Problématiques liées à la captivité

Les animaux vivants en liberté n’exprimant pas de comportements répétitifs, il a été supposé que ces troubles se développent en réponse à un environnement inapproprié (Mason, 1991). 

Ces comportements répétitifs proviennent d’une mauvaise adéquation entre le système humain-animal-environnement. Ils ne doivent pas être empêchés, mais leur cause (toute source de stress, de frustration ou de conflit) doit être recherchée et supprimée (Luescher, 2004 ; Mills et Luescher, 2006).

La captivité est synonyme de restrictions, surtout environnementales et sociales. Un visiteur non averti ne peut se rendre compte de la quantité des bruits anthropiques dans un zoo, bruits générés par les conversations de visiteurs, les cris des enfants, les machineries, les souffleries, chauffage, le travail du staff ou des bruits moins évidents mais bien perçus par de nombreuses espèces comme des bruits d’ordinateur, des caméras de vidéosurveillance…rien à voir avec les bruits de la nature. Tous ces sons inappropriés par leur volume, leur fréquence et leur origine augmentent la vigilance et l’état d’éveil de l’animal. La stimulation répétée de l’axe cortico-surrénalien conduit à une élévation de la pression artérielle ainsi qu’à une tachycardie, ce qui a des effets néfastes à long terme sur la santé de l’animal. La proximité des sons émis par les prédateurs est aussi une source de stress pour les proies. (Enclos des lions à proximité de l’enclos des herbivores).

Les conditions lumineuses (intensité, photopériodicité) également, plutôt orientées dans de nombreuses structures préférentiellement pour le contentement du public que pour le confort des animaux peut aussi être source de stress. 

Dans les milieux naturels, nombreux sont les animaux qui effectuent des migrations, en fonction des saisons et des températures, des rythmes nycthéméraux. Au-delà de cette notion de migration, beaucoup d’espèces sont bien souvent exposées à des températures pour lesquelles elles ne sont pas adaptées. Pour ne citer que quelques exemples emblématiques, les éléphants d’Asie et d’Afrique, les ours polaires ou les manchots. Ces animaux vivent initialement sous des latitudes bien différentes de celle de la France. Rees en 2004 remarque une augmentation des stéréotypies chez des éléphants d’Asie (Elephas maximus) quand les températures sont basses.

La nature des sols aussi, les odeurs peuvent être des facteurs de stress.

Mais l’un des facteurs de stress le plus évident en captivité est le manque d’espace : la taille des cages ou des enclos limite les déplacements des animaux. Ce sont les espèces habituées aux grands espaces dans leur milieu naturel qui souffrent le plus de la captivité (Clubb et Mason (2003).

L’absence de possibilité de se soustraire aux regards des visiteurs est aussi une source de stress très importante pour les animaux. Les visiteurs veulent voir les animaux, les zoos leur proposent donc une proximité visuelle. La distance maximale qui sépare le public des animaux étant souvent inférieure à la distance de fuite de bien des espèces ; cette confrontation directe avec les humains, malgré les apparences parfois trompeuses et le calme affiché par les animaux, peut engendrer un véritable mal-être, des comportements agressifs entre congénères ou envers l’individu lui-même (mutilations, arrachage de poils, plumes, onychophagie…).        

 

En plus de provoquer des agressions, la présence humaine est à l’origine d’une réduction des comportements habituels d’une espèce, voire de tout type d’activité. Par exemple, la présence de visiteurs est associée à une diminution du jeu ou d’autres comportements entre les individus du groupe, certains individus stoppent aussi parfois toute activité (comme chez des léopards par exemple (Panthera pardus)  (Mallapur et Chellam, 2002).

A contrario, une augmentation de la vigilance, une hyper réactivité, une absence de phases de repos peuvent être observées et mesurées sur certains individus confrontés à la présence humaine.

Beaucoup d’espèces dans leur environnement naturel ont un « budget temps » très important de recherche de la nourriture. Or, en captivité, les aliments sont mis à disposition, ce qui peut sembler être un avantage de prime abord mais qui génère en fait beaucoup d’ennui et de frustration. En effet, ces animaux ont un patrimoine génétique en adéquation avec leur mode de vie libre. Ainsi, certains, comme les éléphants ou les grands carnivores par exemple, effectuent des déplacements importants dans la recherche de leur nourriture. De fait, que faire du reste de la journée qui plus est dans un périmètre limité ?

Certains individus qui auraient naturellement quitté le groupe sont contraints en captivité de partager le même espace, sans pouvoir toujours se soustraire aux agressions ou sollicitations négatives de congénères ce qui peut entraîner des tensions importantes, du stress et des blessures.  Dans les zoos, on tient compte en général du mode de vie des animaux, de leurs besoins sociaux. Cela n’empêche pas l’apparition de comportements anormaux, les conditions de vie en captivité étant bien souvent et malgré les apparences pour un public non averti très différentes de celles en liberté. Il arrive par exemple souvent que des mères ne sachent pas s’occuper de leurs bébés, ou les rejettent précocement, nécessitant une intervention humaine et donc une augmentation des risques d’apparition de comportements anormaux (Martin, 2002). L’absence de soins maternels n’est alors jamais totalement remplacé par les soins substitutifs des humains, quels que soient leur dévouement et leurs connaissances (Latham et Mason).Les individus ayant subi une privation maternelle conservent une frustration physiologique de ne pas avoir pu bénéficier des soins de leur mère et sont de bons candidats pour développer des comportementaux anormaux.

Ces animaux sont plus susceptibles de présenter des comportements anxieux, de rencontrer des difficultés de communication intraspécifiques, d’être plus agressifs, avec moins d’auto contrôle.

 

III) Stéréotypies et pathologies qui peuvent en découler

1) Les différentes manifestations 

Stéréotypies orales : Elles provoquent des troubles dentaires et une perte importante d’énergie (McGreevy et Nicol, 1998). Une étude sur des girafidés a par exemple montré que 72,4% des animaux présentaient une stéréotypie orale consistant à lécher des objets (Bashaw et al., 2001). Certaines girafes passent plus de 40% de la nuit à présenter des mouvements de langue ou du léchage (Baxter et Plowman, 2001).

Stéréotypies locomotrices des carnivores (Clubb et Vickery (2006)) : Les carnivores sont les animaux qui manifestent le plus de stéréotypies locomotrices en captivité, avec des manifestations souvent très remarquées sur les grands fauves (panthères, lions, tigres, guépards…). On les voit souvent déambuler inlassablement le long d’une clôture ou d’une vitre, sur un chemin toujours identique. La déambulation se fait à pas lents, d’un point à l’autre, le long d’une ligne droite ou en rond.

Par ailleurs, Clubb et Mason (2001) ont étudié les stéréotypies sur 33 espèces de carnivores et ont montré que leur prévalence et leur fréquence étaient supérieures chez les ursidés par rapport aux autres espèces. Certains ours ne stéréotypent pas du tout tandis que d’autres peuvent passer jusqu’à 77% de leur temps à stéréotyper, des stéréotypies locomotrices mais aussi mouvements de balancement du corps et de la tête ou encore des stéréotypies orales.              

Stéréotypies des primates non humains (Novak et al., 2006.) : Les stéréotypies chez les primates non humains sont pluriformes: certaines font intervenir le corps entier, comme la marche lente (à pas mesurés), les sauts  périlleux ou encore les rebonds, d’autres sont caractérisées par des mouvements dirigés vers le corps de l’animal, , des comportements centripètes comme sucer ses doigts, s’arracher les poils, s’infliger des morsures… l’intensité  de ces comportements pouvant être très variable et fonction des espèces, les Prosimiens  semblant être  les moins touchés.

Les stéréotypies peuvent entraîner des lésions physiques (par exemple les lésions dues aux morsures ou griffures auto-infligées). Elles peuvent être tellement élevées qu’elles perturbent les fonctions biologiques de base comme la reproduction, le comportement maternel par exemple ou qu’elle ne laisse plus la place à des comportements normaux de l’espèce comme le jeu et les autres interactions sociales quotidiennes.

Chez les grands singes, on a pu distinguer différents types de stéréotypies, définies en fonction de leur expression et des parties du corps touchées :

Auto-agrippement (self clasping) : l’animal empoigne une partie de son corps avec ses mains ou ses pieds, ce qui est une manifestation d’anxiété généralisée.

Auto-sucions (self orality) : succion des doigts ou du pénis.

Self agression : l’animal s’inflige lui-même des blessures en se frappant ou en se mordant.

Balancement ou rocking : mouvement d’avant en arrière, souvent en position assise.

Crouching : position ou toute la surface ventrale est en contact avec le substrat.

Saluting : l’animal appuie son poing sur son globe oculaire ou effectue une sorte de salut militaire.

Floating limbs : l’animal est assis et inactif, seule une de ses jambes se soulève soudainement et va reposer sur une autre partie du corps (Walsh et al 1982).

 

2) Aspects physiologiques et neurologiques, la notion de stress

Le stress est un syndrome général d’adaptation de l’organisme face à ce qu’il perçoit comme une agression. Toute modification de l’équilibre d’un organisme, perçue comme potentiellement menaçante, peut être qualifiée de stress. (Selye,1955). Les facteurs de stress peuvent être environnementaux comme l’apparition d’un prédateur, physiologique comme la baisse de la glycémie ou psychologique, comme la présence d’un état pathologique anxieux. Pour rétablir l’équilibre, l’organisme a à sa disposition une panoplie de réactions physiologiques et comportementales.

Ainsi, quatre types de réponses biologiques ont été mis en évidence (Hekman et al., 2014 ; Tiret, 2016):

  • Une réponse comportementale avec une réaction telle que l’immobilisation, le combat ou la fuite, 3 zones du cerveau étant impliquées dans la réponse au stress : l’amygdale, l’hippocampe et le cortex préfrontal.
  • Une réponse du système nerveux végétatif avec l’activation du système orthosympathique et la libération de catécholamines (noradrénaline et adrénaline).
  • Une réponse du système neuroendocrinien avec l’activation des glandes surrénales et la sécrétion de corticoïdes entraîne une augmentation du catabolisme protéique et de la néoglucogenèse.
  • Une réponse du système immunitaire avec une leucocytose neutrophilique et une lymphocytopénie, caractéristiques du leucogramme de stress.

Les effets à court terme sont positifs pour l’organisme, il s’agit d’une réaction d’alarme : comme vu plus haut, tout stress active donc le système nerveux autonome et provoque la libération d’adrénaline par la médullosurrénale et de la noradrénaline par le système nerveux sympathique. L’activation de cet axe permet d’augmenter immédiatement la disponibilité en énergie, entraîne en parallèle une augmentation de la consommation d’oxygène et une distribution du flux sanguin privilégiant les zones non nécessaires au mouvement, ainsi qu’une inhibition de la digestion, de la croissance, de la fonction immunitaire, de la fonction reproductrices et de la douleur. La perception de l’environnement et la mémorisation sont initialement améliorées. On comprend donc que ce mécanisme est positif puisqu’il permet de répondre très rapidement à une situation, à un danger.

L’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien est également sollicité et permet la libération de différentes hormones en réponse à ce stress. Parmi elles, les glucocorticoïdes qui, en plus de permettre à l’individu de réagir rapidement en cas de situation stressante, permettent aussi la mémorisation. Cette mémorisation permettra de réagir encore plus promptement lors d’une nouvelle rencontre avec ce même facteur de stress ou de ne plus (ou moins) y répondre s’il s’avérait que la source de stress n’était finalement pas dangereuse.

Le problème, ce sont les effets à long terme du stress, car on assiste alors à une résistance, puis un épuisement de l’organisme. Ainsi et progressivement, la sécrétion exagérée et répétée des glucocorticoïdes induit des effets délétères comme l’hypertension, du diabète, de l’infertilité, une inhibition de la croissance, l’inhibition des réponses inflammatoires et une immunodépression (Baid et Nieman, 2004). Cette sécrétion exagérée finit également par altérer l’apprentissage et la mémorisation. Ainsi,si  le stress aigu est une adaptation car il  est protecteur de l’organisme,  le stress chronique a des effets délétères et favorise le passage aux états pathologiques.

 

IV) L’”enrichissement”, un concept utilisé dans les zoos

De nombreux animaux de zoo développent des troubles comportementaux, ce qui rend encore plus improbable leur « réintroduction » dans la nature. Les zoos sont conscients de la problématique bien sûr et la plupart des études faites sur les stéréotypies animales viennent de l’industrie de la captivité. En effet, ces comportements anormaux créent un malaise, une interrogation dans le public, susceptible de mettre à mal les notions de bien-être animal et de préservation de la biodiversité qui servent d’étendard aux zoos.        

Toutes les espèces ne présentent pas la même tolérance à la captivité : certaines, les espèces                               « néophobes », c’est-à-dire qui craignent la nouveauté (Morris, 1964), souffrent moins du manque de liberté que d’autres car elles explorent peu et s’accommodent des  conditions de vie qui leur sont allouées si elles sont globalement satisfaisantes.

Les espèces « néophiles » qui aiment la nouveauté, sont curieuses, ont un comportement exploratoire exacerbé. En effet, l’évolution les a conduits à explorer constamment et à considérer tout élément qui pourrait leur être utile. Ces espèces peuvent donc passer une bonne partie de la journée à fureter, tenter d’agrandir leur domaine vital, se déplacer en fonction des fruits qu’elles savent pouvoir retrouver sur un arbre à la bonne saison.

Dans un milieu clos et peu variable, dont elles ont rapidement fait le tour, ces espèces peuvent ressentir ennui et frustration. Certaines d’entre elles, vont tenter de pallier cette situation par différents stratagèmes.  Il y a donc bien sûr les stéréotypies, mais aussi de nombreux comportements qu’on ne retrouve pas ou extrêmement rarement en milieu libre. Ainsi en captivité, hyperphagie et hypersexualité sont également des comportements très fréquents.

On peut aussi avoir des schémas de réponses normaux face à un stimulus mais les phases de ces réponses sont modifiées en temps ou en intensité : par exemple, la nourriture est léchée, manipulée et explorée minutieusement avant d’être consommée, alors qu’à l’état sauvage elle serait avalée rapidement.  Des facteurs individuels interviennent aussi car un animal ne réagira pas forcément de la même manière qu’un autre, selon son historique, la manière dont il a été élevé, les réactions qu’il a acquises au cours de son existence.

Vandeleest et al. (2011) font intervenir la notion de « tempérament », qui correspond à la façon dont un individu va interagir avec son environnement, avec une intensité et un seuil de réponse particuliers. Il y a un consensus sur le fait que le tempérament est un ensemble de traits héréditaires, stables dans le temps qui désigne la nature profonde des individus. Il serait très influencé par la génétique. Cette notion est parfois difficile à différencier de la « personnalité » qui elle serait l’expression des traits de tempérament en fonction de l’environnement rencontré par l’individu.

C’est lorsque les animaux évoluent dans des environnements où ils ne peuvent pas exprimer les comportements propres à leur espèce que les troubles répétitifs apparaissent.  « Chaque animal est un individu d’une espèce donnée, avec son tempérament et donc des besoins éthologiques propres à son espèce et à lui-même, rappelle la vétérinaire Emmanuelle Titeux.

 

Pour répondre à toute cette problématique dont les zoos sont parfaitement conscients, certains établissements mettent en place ce qu’ils appellent “enrichissements” du milieu. Pour Code animal ces enrichissements sont un aveu d’échec public de la part des zoos puisqu’ils mettent en place un simple pansement sur une plaie béante qu’est la captivité même de l’animal. Réguler une conséquence plutôt que la racine même du problème n’est pas acceptable. L’humain ne pourra en aucun cas recréer artificiellement la complexité du milieu naturel des animaux sauvages, que ce soient les interactions entre les individus, entre les espèces, les cultures animales, les langages animaux, la nourriture, la photopériode, etc.

Ainsi sur les différents sites internet des formations soigneurs ou des parcs zoologiques, on peut lire que l’enrichissement consisterait à “augmenter les possibilités pour l’animal d’exprimer des comportements naturels. (…) Il peut s’agir de mettre à disposition des animaux des “jouets”. On peut aussi disperser dans l’enclos des odeurs sous la forme d’huiles essentielles et d’autres substances odorantes. On place souvent dans les enrichissements de la nourriture pour rendre l’expérience plus plaisante pour l’individu et le maintenir plus longtemps actif.” “Il existe plusieurs types d’enrichissement, qui vont répondre à des besoins différents. Par exemple :

  • En re-socialisant les animaux qui ont vécu longtemps en isolement, on leur apporte un enrichissement social. Plus le groupe est important et plus leur vie sociale sera riche !
  • Les enrichissements cognitifs visent à stimuler le comportement de recherche alimentaire des primates, qui est un comportement naturel. Ainsi les primates s’occupent ‘intelligemment’ durant la journée, et cela évite qu’ils développent des comportements répétitifs aberrants (aussi appelés stéréotypies).
  • Accroître l’espace de vie des animaux (e.g. accès à l’extérieur, cages plus grandes) leur permet d’exprimer plus de comportements moteurs et de jeu, ce qui améliore leur santé physique.
  • Pour les espèces nidicoles (e.g. rongeurs, porcs), donner du matériel de nidification aux femelles gestantes leur permet de satisfaire leur besoin de construire un nid pour leur portée et réduit le stress au moment de la mise-bas.”

Aussi, et selon des témoignages de soigneurs que nous avons reçus de différents zoos français, la mise en place des enrichissements n’est pas obligatoire par la loi et elle se fait au bon vouloir des directions de zoos et des soigneurs eux-mêmes. Ainsi, comme il n’y a pas, dans la majorité des cas, de budget alloué à l’enrichissement dans le zoo, les soigneurs volontaires font souvent avec ce qu’ils ont et comme ils peuvent. Le suivi de ces enrichissements est à la volonté des soigneurs et de leur temps. De ce fait, si une personne qui remplace celle qui a mis en place les enrichissements n’est pas sensibilisée à ces problématiques, les animaux peuvent ne plus y avoir droit.

D’autre part, les suivis des enrichissements (quoi donner à quel animal et à quel rythme, et quels sont les impacts sur les comportements) ne sont pas standardisés et sont toujours au bon vouloir de la personne qui les met en place. Enfin, lorsqu’il y a des mouvements d’animaux entre zoo, il se peut que les enrichissements ne suivent pas l’animal qui se retrouve alors dans un environnement nouveau et sans mise en place de dispositifs.

 

Des animaux sous anti-dépresseurs ?

Il est assez compliqué d’avoir des chiffres et des informations précises quant à l’administration d’anxiolytiques aux animaux captifs dans les zoos.

Certaines informations sont reprises dans les thèses vétérinaires mais peu développées. Certains médias abordent le sujet dans les articles publiés notamment depuis 2014 et l’incident Gus, un ours polaire du zoo de Central Park à New York qui était placé sous Prozac par la direction. Des antidépresseurs et anxiolytiques sont ainsi donnés aux animaux des zoos comme traitements aux comportements de stéréotypies. Ces faits ont été longuement exposés dans le livre de Laurel Braitman’, Animal Madness : How Anxious Dogs, Compulsive Parrots, and Elephants in Recovery Help Us Understand Ourselves, sorti en 2014.

La problématique semble beaucoup plus visible aux Etats-Unis, si bien que deux représentants politiques de New York, Jessica González-Rojas et Jabari Bisport, ont décidé de déposer une proposition de loi dans leur Etat pour interdire aux zoos de donner ce genre de médicaments aux animaux sauvages et de travailler sur le fond du problème.

Pour la France, il y a un manque de transparence sur ce sujet.

 

En conclusion 

Comme le dit l’historienne Violette Pouillard, « la captivité est un déracinement, et les pratiques de gestions utilisées accentuent les effets de la dépossession. » La captivité n’est pas dans l’intérêt de l’animal mais part d’un engouement scientifique dans lequel la survie de l’animal revêt un caractère expérimental. Peu de choses sont réellement connues sur les besoins des animaux.

L’historienne mentionne également des exemples de résistances animales à ces contraintes physiques et aux impossibilités sociales dues à l’enfermement. Aujourd’hui les zoos tendent lamentablement de répondre partiellement au vide imposé par la captivité par ce qu’ils appellent « enrichissement ». « Les désobéissances, les morsures et les attaques régulièrement opposées par les animaux aux interactions contraintes menacent l’idéal d’entente universelle, et entraînent aussitôt la discipline des corps et des esprits. » Ce terme « enrichissement » a été forcé en 1978 et recouvre « tout changement porté à l’environnement d’un animal implémenté pour améliorer sa condition physique et son bien être mental, en augmentant et en diversifiant les activités et en diminuant la survenue de comportements anormaux. Il s’agit finalement d’enrichir ce que l’on a appauvri en détenant les animaux en captivité et loin de leur milieu naturel. » Il est censé restituer chaque fragment du monde naturel mais l’addition des parties simplifiées ne peut conduire à l’intangible somme, de sorte que la complétude ne peut être rendue.

Les zoos sont avant tout créés pour et par les humains, et non pour les animaux. Le bien-être animal avancé dans le discours des zoos ne peut en aucun cas être respecté dans un environnement artificiel et créé pour le divertissement d’une seule espèce. Les zoos se targuent d’être des experts sur le sujet des problèmes comportementaux des animaux. Cela est purement et simplement de la malhonnêteté intellectuelle puisque ce sont exactement les conditions de détention en captivité qui créent ces problèmes comportementaux. Tant que les acteurs de la captivité n’auront pas reconnu et accepté la problématique de fond, les animaux continueront de tourner en rond dans leur cage, même avec des jouets en guise d’enrichissement.

 

Sources

Inconnu, Des animaux en captivité : Recueil de textes contre les zoos et l’industrie qui va avec, (2019) PDF consulté le 24.10.2023 ici

Violette Pouillard, Histoire des zoos par les animaux. Impérialisme, contrôle, conservation, Seyssel, Champ Vallon (collection L’environnement a une histoire), 2019

Noémie Maud Stéphanie FROMY, Les parcs zoologiques face aux questions de la société : enjeux et perspectives (2018), PDF consulté le 24.10.2023, ici

Emilie Wenisch, Les stéréotypies des animaux élevés en captivité : Etude bibliographique (2012), PDF consulté le 24.10.2023, ici

Georgia Mason & Jeffrey Rushen, Stereotypic animal behaviour : fundamentals and application to welfare (second edition), (2006), consulté le 24.10.2023, ici

Blog internet, soigneur-animalier-animateur.fr, L’enrichissement en parc zoologique (2020), consulté le 24.10.2023, ici  

Blog internet, Ethosph’R, L’enrichissement, qu’est-ce-que c’est, (2020), consulté le 24.10.2023, ici

Blog internet, Devenir soigneur animalier, Enrichissement du milieu en parc zoologique et le rôle du soigneur animalier (inconnu), consulté le 24.10.2023, ici

Laura Smith, Zoos drive animals crazy, article du magazine Slate, (2014), consulté le 24.10.2023, ici

 Laurel Braitman, Even the gorillas and bears in our zoos are hooked on Prozac, article du magazine Wired.com, (2014), consulté le 24.10.2023, ici

Benjamin Lecorps, Daniel M. Weary, Marina AG Von Keyserlingk, Captivity-induced depression in animals, article scientifique publié dans Science Direct, (2021), consulté le 24.10.2023, ici

Michael Dorgan, Queens Lawmaker introduces bill to stop zoos from druggin animals for mating purposes, publié dans le journal Brooklyn Post (2021), consulté le 24.10.2023, ici