Je me suis rendue samedi 26 Mars 2022 à la mairie de Saint Mandé (94) où était organisée une conférence où Chanee, président et fondateur de Kalaweit, l’association de sauvegarde de la biodiversité et le plus grand projet au monde pour la sauvegarde des gibbons, venait présenter son dernier livre « hâte d’être à demain » et partager avec nous son énergie et sa détermination.
Après 24 ans de combat en Indonésie, il est devenu un acteur majeur, reconnu et incontournable de la conservation active et efficace. Sur le terrain, il a été confronté à toutes sortes de défis à priori insurmontables. Il n’a jamais baissé les bras, a appris de ses échecs et connaît maintenant les rouages qui permettent d’obtenir plus rapidement les résultats escomptés. Il a réussi à s’allier les politiques et les populations locales, celles-ci trouvant aussi bénéfices aux actions menées par l’association. Il est parvenu à légitimer sa présence et ses actions sur place grâce à sa motivation et son implication. Sa capacité d’analyse, sa persévérance et sa perspicacité dans la nature humaine lui permettent de proposer et mettre en place des solutions adaptées à chaque situation.
Sous son sourire communicatif se cache une détermination à toute épreuve quand il s’agit de résister aux menaces et à la corruption, pour défendre les droits en faveur de la biodiversité et de l’environnement.
Farouchement positif (mais très loin d’être naïf), il fustige la façon dont les médias et les grandes ONG nous démoralisent en n’annonçant que les mauvaises nouvelles et en oubliant quasi systématiquement de mettre en lumière les avancées, les batailles gagnées, comme si le pessimisme pouvait être un moteur pour faire progresser le monde ! Certaines de ces ONG, par leur recherche de légitimité et de fonds en arrivent même à exercer une action négative sur le terrain ! Chanee estime aussi que les médias nous ont consciemment et inconsciemment culpabilisés individuellement face à la dégradation de l’état de la planète
Il ne s’agit pas de ne plus faire mais de regarder pourquoi les choses ne vont pas dans le bon sens. Il réfléchit non pas sur les personnes qui consomment du Nutella mais plutôt comment on en arrive à détruire des forêts et la biodiversité associée pour fabriquer et pouvoir vendre cette pâte à tartiner. Et les exemples sont nombreux.
En fait, nous savons tous que le débat n’est pas au bon niveau et que chacun travaille à ses propres intérêts.
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C’est pourquoi Chanee a choisi d’agir directement sur le terrain, là où les résultats sont palpables et où toutes les victoires, même les plus infimes, permettent de renforcer la motivation.
Sa méthode est de racheter des terrains aux petits propriétaires terriens indonésiens pour avoir la légitimité de protéger la biodiversité qui y vit. Les vendeurs peuvent continuent à récolter les fruits et le rotin, à saigner les arbres à caoutchouc, mais ils ont interdiction formelle de chasser et de couper les arbres. Cela devient « une forêt communautaire, où la nature est gagnante ».
La plupart des vendeurs préfère ainsi maintenant vendre à Kalaweit plutôt qu’aux industries de l’huile de palme, de bois ou de charbon car ils récupèrent un bon et juste prix et qu’ils peuvent continuer à exploiter durablement leurs parcelles. Il existe ainsi une liste d’attente de gens qui veulent vendre à Kalaweit, l’argent des donateurs servant concrètement à l’achat de ces parcelles.
Kalaweit préserve ainsi des îlots très riches en faune et en flore, le choix des terrains étant réfléchi et plutôt axé sur ceux qui renferment le plus d’animaux.
En effet, les parcelles exploitées en monoculture intensive perdent définitivement leur capacité initiale : le sol s’appauvrît, les rivières salies perdent leur aptitude à porter la vie, les animaux disparaissent … les arbres mettront des décennies à repousser.
En comparaison avec ce que deviennent ces terrains exploités par ces grandes compagnies qui alimentent nos assiettes, la richesse d’une forêt sauvage est immense. Chanee le décrit bien dans ce livre magnifique. Il explique aussi qu’il est beaucoup plus économique et pertinent de sécuriser des parcelles de forêt en bonne santé que d’essayer de re-ensauvager, de reboiser des parcelles détruites.
Chanee revient aussi dans son livre sur ses rapports avec les zoos.
Il explique qu’il a toujours été soutenu par des parcs zoologiques et que beaucoup d’hectares ont été financé par eux.
Il écrit aussi p 105 : « Je crois en la nécessité des parcs zoologiques mais j’ai un discours nuancé.
Dans un monde idéal, je suis contre toute forme de captivité. Les premières cages à vider doivent être celle de Kalaweit. La réalité du terrain, les difficultés pour trouver des sites de relâcher, nous obligent à maintenir des animaux en cage. C’est d’une tristesse sans nom. Je crois que les zoos ont de vraies missions à mener (l’une d’elle et de financer des projets de terrain) mais je crois aussi que les parcs zoologiques doivent évoluer. Dans un monde où les cirques et les delphinariums n’ont plus leur place, les prochains sur la liste sont les zoos. Je ne vois pas beaucoup de différences entre une orque dans un bassin et un éléphant dans un enclos. S’ils ne changent pas, ils risquent de disparaître à moyen terme. Ils jouent pourtant un vrai rôle à remplir, ils sont plein de gens passionnés et motivés. Je suis de ceux qui pensent que les zoos doivent évoluer. Et je ne parle pas de la dimension des cages et des enclos… »
Après la diffusion sur sa chaîne YouTube de sa vidéo, « Ce que je pense des zoos » en 2021, les réactions des différents acteurs du secteur ont été nombreuses.
Certains ont été surpris, déçus, en colère, d’autres ont au contraire encouragé la démarche de Chanee de mettre les choses au clair, étant eux-mêmes d’accord avec ses propos.
La réaction la plus virulente a sans doute été celle de l’AFDPZ, c’est à dire Beauval, qui a envoyé un mail à tous les parcs zoologiques membres de l’AFDPZ pour leur suggérer de ne plus financer Kalaweit … N’est-ce pas dommage pour une entreprise qui prétend avoir comme préoccupation principale la notion de conservation des espèces ? Chanee ne mâche pas ses mots pour exprimer ce qu’il pense de Beauval p 109 il écrit :
« Le plus gros frein pour l’évolution des parcs français, c’est la tête de l’AFDPZ, c’est à dire le zoo de Beauval, cette entreprise gigantesque. Il est à lui seul le symbole du concept zoo-business, mélange d’hôtels de luxe, d’effets de communication (comme avec ses pandas) et de liens étroits avec des politiques. Mais ce n’est pas lui que l’on verra en première ligne pour aider un félin boiteux saisi en douane. Et pour la conservation, comme je le dis dans l’article, l’argent investi par ce dernier, ressemble surtout un budget de communication. Tant que l’AFDPZ sera présidée par des businessmans, les parcs zoologiques seront condamnés, à court et à moyen terme. Le message est bien trop commercial. Ses dirigeants se défendent de faire la pluie et le beau temps à la tête de l’AFDPZ. Les zoos, membres de l’association sont libres. Dans les faits, ils n’ont pas trop le choix…comme je le dis dans l’article, se mettre à dos l’AFDPZ et/ou l’EAZA complique pas mal les choses pour échanger des animaux. »
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P 111 « Ce dont les animaux ont besoin, c’est un monde zoologique qui sache se remettre en question. Qui met en avant sa compassion, son empathie, pour des animaux en difficulté. Un réseau de zoos dont les bénéfices profitent pleinement aux animaux. L’argument même de conservation, dans bien des cas n’est pas recevable. Beaucoup d’animaux des zoos ne font même pas partie d’espèces menacées. Montrer de nouveaux enclos spacieux ne suffit plus.
Chanee revient aussi sur les euthanasies « de surplus » ou celles des vieux animaux en bonne santé… pour lui, tuer ces animaux vieux mais en forme « revient à tuer nos vieux dans les maisons de retraite… Pour faire des économies. »
Chanee est resté 3 semaines en France et a donné d’autres conférences dans différentes villes (programme sur le site de Kalaweit).
Le monde n’est pas manichéen, il l’a bien compris.
Il agit, concrètement, au quotidien, il redonne espoir et l’envie d’y croire, il nous ouvre les yeux.
Sa peur principale semble de ne pas avoir assez de temps pour faire tout ce qu’il a prévu de faire !
Chanee nous dit que sans Kalaweit, il n’est rien. Ce qu’on retient surtout, c’est que sans lui, Kalaweit n’existerait pas, qu’il est de ceux qui ont fait et continuent de faire bouger les lignes, qu’il est une référence pour ceux qui travaillent véritablement pour la conservation de la biodiversité.
Nous avons besoin d’autres Chanee.
Merci et bravo à lui pour ses actions et l’exemple qu’il donne.
Lisez et imprégnez-vous de son livre.
« Hâte d’être à demain « peut être commandé dans votre librairie habituelle ou en ligne, ci-dessous quelques liens pour le commander sur internet.
Sophie
Site de l’éditeur :
https://lespressesdumidi.com/recits-t…
Boutique Kalaweit:
https://boutique.kalaweit.org/boutiqu…’
Association :
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