Après les pandas, devenus en quelques années les mascottes marketing du ZooParc de Beauval et de véritables peluches vivantes aux allures de jouets de Noël, voici les singes dorés. Nouvelle « exclusivité mondiale », nouvelle promesse de hausse de fréquentation, nouvelle opération de communication. Chaque printemps voit éclore son lot d’affiches colorées vantant l’arrivée de nouveaux animaux : la recette est bien rodée. En effet, le zoo est une entreprise commerciale, et, pour satisfaire ses clients, il lui faut de la nouveauté !
Mais cette année, Beauval décroche le gros lot.
L’arrivée de trois singes dorés (Rhinopithecus roxellana), de Chine a été orchestrée avec un renfort médiatique inégalé. Le site du ministère de l’Intérieur lui-même s’est fait le relais de cette « opération historique », en coordination avec les préfectures de police de Paris et du Loir-et-Cher (source). Jamais un individu de cette espèce classée « en danger d’extinction » sur la liste rouge IUCN depuis 2015 n’avait officiellement quitté l’Asie.
Une menace importante est la chasse pratiquée afin de se procurer des peaux utilisées en médecine traditionnelle chinoise. La peau serait considérée comme un moyen de prévenir et de guérir les rhumatismes.
Les installations ont été calibrées pour l’événement : enclos « haute technologie », brumisateurs, dortoirs climatisés, et cérémonie d’accueil protocolaire. L’investissement est conséquent, mais le retour sur image – et sur chiffre d’affaires – est presque garanti.

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Une stratégie bien rôdée
En 2023, le ZooParc de Beauval affichait un chiffre d’affaires de 113 millions d’euros, boosté par la présence des pandas, loués à prix d’or à la Chine. Une manne financière dont on sait aujourd’hui qu’elle profite autant à la diplomatie chinoise qu’aux ambitions touristiques locales (Arte – La diplomatie du panda).
Qu’en sera-t-il des singes dorés ? Quels contrats ont été signés avec la Chine ? Quelles contreparties économiques ou politiques cela implique-t-il ? Et surtout : en quoi ces transferts servent-ils réellement la conservation de l’espèce ?
Conservation ou mise en scène ?
Car si la priorité était véritablement de protéger ces primates, pourquoi les extraire de leur habitat naturel pour les installer à plus de 8 000 kilomètres, dans un zoo européen ? En cas de naissance, les descendants seront-ils eux aussi transportés à travers le globe pour une reproduction ex situ sans perspective concrète de réintroduction ?
Il est permis d’en douter.
Une conservation déjà bien engagée sur le terrain
Contrairement à ce que pourrait laisser penser cette médiatisation, la protection des singes dorés ne commence pas avec leur arrivée en France. Depuis les années 1980, plusieurs projets de conservation en Chine ont permis une remontée significative de leurs effectifs.
L’espèce est sous-divisée en 3 sous-espèces vivant dans des aires de répartition différentes. Les trois sous-espèces actuellement reconnues (roxellana, hubeiensis, qinlingensis) se distinguent principalement par la longueur de leur queue, ainsi que par certaines caractéristiques de leur structure squelettique et par la largeur de l’arcade dentaire (Groves, 2001).
Aucune séparation génétique claire en clades distincts n’a été observée, ce qui justifie leur désignation comme sous-espèces plutôt que comme espèces à part entière.
Même si le déclin se poursuit dans certaines zones, en particulier dans l’aire de répartition de Rhinopithecus roxellana roxellana, les populations des deux autres sous-espèces semblent s’être stabilisées. Aujourd’hui la population de Rhinopithecus roxellana est estimée à 22 000 individus, répartis en trois sous-populations distinctes dans les provinces du Sichuan, du Hubei et du Shaanxi.
Le pays a même mis en place des aires protégées :
- Rhinopithecus roxellana roxellana : Réserve naturelle de Baihe, Réserve naturelle de Wanglang.
- Rhinopithecus roxellana qinlingensis : Réserve naturelle de Changqing, Réserve naturelle de Taibai, Réserve naturelle de Foping, Réserve naturelle de Laoxiancheng.
- Rhinopithecus roxellana hubeiensis : Réserve naturelle de Shennongjia, Réserve naturelle de Zhouzhi
Des ONG chinoises comme Shanshui Conservation Center travaillent en collaboration avec les autorités locales et les communautés rurales pour surveiller les populations, lutter contre le braconnage et restaurer les forêts tempérées.
Ces actions ont un impact direct et durable. Elles permettent la survie de l’espèce dans son écosystème, en lien avec les autres espèces animales et végétales de la région.
En ce qui concerne l’arrivée des singes dorés à Beauval, le concept même de conservation est ici vidé de son sens : il ne s’agit plus de préserver une espèce dans son milieu, mais d’exhiber quelques individus comme vitrines vivantes, supports de communication et de marketing. La cause animale devient une attraction, et l’animal une ressource économique. À ce jour, aucune information publique ne confirme que les singes dorés de Beauval s’intègrent dans un programme coordonné avec les autorités chinoises ou les réserves naturelles existantes.

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La vie des singes dorés en liberté : un écosystème irremplaçable
En liberté, Cette espèce ne se trouve que dans les forêts de montagne, où la couverture neigeuse peut durer jusqu’à six mois par an. Les singes dorés vivent dans des forêts de montagne, entre 1 400 et 2 800 mètres d’altitude, soumises à des hivers rigoureux et des variations climatiques marquées.
Le cycle reproductif est de 22 à 30 jours. Les accouplements ont lieu entre août et octobre, et les naissances entre mars et juin, avec un pic en avril. La gestation dure entre 193 et 203 jours. Une femelle adulte donne naissance environ tous les deux ans. Des comportements d’infanticide et d’allomaternal care (prise en charge des petits par d’autres individus que leur mère) ont été observés. La maturité sexuelle est atteinte entre 4 et 6 ans. L’intervalle moyen entre deux naissances est de 21,9 mois. L’espérance de vie est de 25 à 30 ans.
Ils vivent en groupes unimâles-multifemelles (un mâle avec plusieurs femelles) ou en groupes de mâles célibataires. La taille des groupes varie selon les saisons. En hiver, les groupes sont plus petits, composés de 20 à 30 individus, et se regroupent fréquemment pour former de plus grandes unités. En été, les groupes peuvent atteindre jusqu’à 200 individus. Il arrive que plusieurs bandes se réunissent pour former de très grands groupes, allant jusqu’à 600 individus. Leur domaine vital s’étend sur 1 000 à 4 000 hectares, avec un déplacement quotidien inférieur à 1 000 mètres. Les interactions sociales, les soins mutuels, les vocalisations élaborées sont essentielles à leur bien-être psychologique.
Au zoo de Beauval il y aura 1 femelle et 2 mâles seulement, la dimension de leur cage n’est pas mentionnée.
Régime alimentaire spécialisé : leur régime varie selon les saisons : bourgeons, feuilles, écorces, fruits, graines, lichens… Un équilibre nutritionnel difficile à reproduire en captivité.
Priver ces animaux de leur environnement naturel, aussi sophistiqué soit l’enclos, revient à leur ôter une partie de leur identité biologique et sociale.

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Des peluches aux profits : la machine est lancée
Avec une couverture médiatique savamment orchestrée, nul doute que la fréquentation du zoo va exploser. Sans parler de la vente massive de produits dérivés – peluches, mugs, t-shirts, magnets – à l’effigie des nouveaux pensionnaires. Tout cela fait partie intégrante d’un modèle économique bien huilé.
Alors oui, nous aimerions, pour une fois, voir en toute transparence la répartition exacte des revenus générés par cet engouement. Combien seront vraiment investis dans des projets de conservation sur le terrain ? Et combien dans de nouveaux hôtels, restaurants, téléphériques, ou dans l’extension du patrimoine immobilier autour de Saint-Aignan ?
Une question de société
L’arrivée des singes dorés à Beauval dépasse l’anecdote zoologique. Elle nous confronte à une question éthique fondamentale : souhaitons-nous continuer à financer une industrie du divertissement basée sur la captivité animale ? Ou sommes-nous prêts à soutenir une conservation plus sincère, plus exigeante, mais respectueuse des animaux et des écosystèmes qu’ils habitent ?
Chez Code Animal, nous croyons que les animaux méritent mieux que d’être réduits à des attractions de luxe. Nous croyons à une conservation éthique, cohérente et respectueuse des animaux que nous prétendons protéger, et de ce fait une conservation centrée sur la protection des habitats.

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Sources :
- IUCN Red List – Rhinopithecus roxellana species assessment
- ARTE – La diplomatie du panda, 2023
- Foping National Nature Reserve – Research publications
- China Biodiversity Conservation and Green Development Foundation
- Shennongjia National Park official reports
Image mise en avant / illustration générée par IA selon les éléments de notre texte.