Texte largement inspiré et traduit du rapport de l’IUCN 2022 La Liste rouge de l’UICN des espèces menacées : Macaca fascicularis – publiée en 2022.
voir le rapport originalMacaca fascicularis , également nommé macaque crabier, macaque de Java, macaque à face rouge ou macaque à longue queue, est un macaque reparti de façon inégale dans tout l’Asie du Sud-Est.
Les différentes sous espèces ne se distinguent par aucune caractéristique phénotypique distincte, ce sont des macaques de petite taille avec une longue queue (d’où leur autre nom générique).
Il est chassé et piégé depuis très longtemps sur toute son aire de répartition mais ces actions se font désormais à des niveaux sans précédent, a cause des conflits entre humains et macaques, mais aussi pour l’alimentation de subsistance de certaines populations humaines et surtout pour alimenter le commerce légitime et illicite à des fins de recherche et d’autres usages.
La pandémie de Covid-19 a très fortement augmenté le prix et la demande (déjà très importants) de M. fascicularis en tant que produit commercial.
Or, il est admis scientifiquement que les primates sont extrêmement sensibles aux fortes pressions de chasse.
A cette problématique s’ajoute celle du changement significatif de paysage de l’Asie du Sud-Est qui subit déforestation et anthropisation.
Dans de très nombreux endroits, les différentes pressions sur ces macaques sont très importantes, alors que très peu de pays ont ne serait-ce qu’une estimation numéraire du nombre d’individus sur leur territoire.
Il existe bien des lois de protection de ces macaques dans certains pays mais ces lois sont peu ou pas respectées.
Il semble désormais urgent de mettre en place des programmes de surveillance et de gestion de la faune structurés qui pourraient recenser, gérer et protéger scientifiquement les macaques à longue queue dans toute l’Asie du Sud-Est.
Des rapports anecdotiques confirment déjà des extinctions locales de populations.
Il est confirmé scientifiquement que l’espèce a connu un déclin de 40 % entre le milieu des années 1980 et 2006 et comme les menaces n’ont fait qu’augmenter depuis lors, il est légitime de supposer que la population de macaques à longue queue a encore diminué au cours des trois dernières générations et que l’espèce connaîtra un déclin d’au moins 50 % au cours des trois prochaines générations si aucune mesure concrète n’est prise.
Photo credit : Sophie Wyseur
Sur la base d’évaluations antérieures de la population de l’espèce entière, il avait été estimé que la population totale de M. fascicularis était d’environ 5 millions dans les années 1980.
Il avait ensuite été indirectement estimé que la population totale était tombée à environ 3 millions d’individus dans les années 2000.
L’espèce est généraliste et opportuniste et s’est adaptée à la vie dans un large éventail d’habitats, notamment les forêts, les côtes, les collines et les montagnes.
On les rencontre le plus souvent dans les mangroves et les forêts marécageuses, en particulier dans les habitats riverains, on les trouve également couramment dans des habitats modifiés par l’homme, notamment les temples, les bords de routes, les zones agricoles et les établissements ruraux/urbains.
Il semblerait que de nombreuses populations sauvages de macaques crabiers soit synanthropes, c’est-à-dire qu’elles ont développé une tolérance envers la présence humaine, pouvant aller de la cohabitation occasionnelle ou circonstancielle jusqu’à la préférence voire la dépendance complète envers la présence humaine.
Au Myanmar (ex Birmanie), le crabier est chassé pour sa viande.
Mais c’est surtout le fait que les macaques à longue queue sont l’espèce de primate la plus capturée et commercialisée pour la recherche biomédicale et toxicologique avec une intensification exponentielle de la demande lors de la pandémie de Covid-19 qui pose soucis.
A des fins de recherche, ces macaques à longue queue sont exportés d’Indonésie, des Philippines, du Cambodge et du Viet Nam depuis des décennies, ce qui a été considéré par les observateurs du commerce comme « extrêmement non durable », d’autant qu’il y a un manque flagrant de surveillance de la part des gestionnaires de la faune sauvage pour garantir que ces captures à partir de populations sauvages soient gérées de manière durable ou, lorsqu’elles ne sont pas durables, qu’elles cessent.
Photo credit : Sophie Wyseur
Un problème important lié au commerce de M. fascicularis est la capture de macaques sauvages capturés pour les introduire dans les soi-disant installations de reproduction que l’on trouve dans les pays de l’Est de l’Asie du Sud-Est – Cambodge, Laos et Viet Nam (Lee 2011, Hamada et al. 2011). Ces macaques capturés sont ensuite commercialisés comme étant nés et élevés en captivité, ce qui masque le véritable niveau d’impact sur la population sauvage. Ces niveaux élevés de commerce et l’incertitude quant à leurs effets au niveau de la population rendent M. fascicularis très vulnérable à des déclins importants dans un avenir proche. De 2010 à 2019, 450 000 macaques à longue queue vivants ont été commercialisés légalement au niveau international. Les chiffres du commerce illégal (c’est-à-dire un commerce sans permis d’exportation CITES) et du commerce au sein des pays d’habitat n’étant pas inclus.
Or, une étude récente sur les produits d’origine animale entrant aux États-Unis a révélé que le commerce illégal ajoute environ 28 % aux importations légales, ce qui, dit autrement, signifie que pour 100 produits d’origine animale importés légalement, 28 autres sont importés illégalement.
La demande internationale de macaques à longue queue provient principalement des États-Unis, du Japon, de la Chine et de l’UE.
La Chine, elle, a interdit toutes les exportations d’animaux sauvages au début de la pandémie et avaient apparemment déjà arrêté d’exporter des singes en 2019.
Ils n’ont cependant pas interdit les importations d’animaux sauvages et ont donc continué à importer des macaques à longue queue.
Il est évident que l’interdît d’exporter depuis la Chine à partir de 2019 a modifié les schémas du commerce international des macaques à longue queue et a exercé une pression supplémentaire sur l’espèce à mesure que les pays d’habitat prenaient le relais en tant que fournisseurs.
Photo credit : Sophie Wyseur
Une menace de plus en plus forte également est le commerce de ces animaux comme animaux de compagnie et de divertissement.
L’espèce est depuis longtemps commercialisée dans différents pays sur les marchés locaux d’animaux de compagnie et de divertissement, mais aujourd’hui, le commerce a désormais également lieu sur les réseaux sociaux, où plus de 4 700 individus auraient été proposés à la vente sur Facebook en 2020 et 2021 en Indonésie. Or, aucun centre d’élevage ne prétend vendre des macaques à longue queue à titre privé en Indonésie, tous ces macaques proposés à la vente sont donc probablement capturés dans la nature.
Une justification peu probante du commerce international et national est le retrait des « singes à problèmes » des zones présentant un degré élevé d’interactions négatives entre les humains et les macaques, notamment le pillage de cultures agricoles ou l’agressivité et la dangerosité d’individus dans certaines régions.
Il ne s’agit là pourtant que d’une justification grossière à un commerce extrêmement lucratif (on parle d’une industrie de plusieurs milliards de dollars).
Photo credit : Sophie Wyseur
La perte de territoires non perturbé disponible, la déforestation et la fragmentation de l’habitat augmentent les contacts entre M. fascicularis et les humains.
Les changements environnementaux poussent la population de M. fascicularis dans un chevauchement étendu avec des habitats anthropiques, cela étant renforcé par la nature synanthropique de la relation de M. fascicularis avec les humains et suscite une persécution généralisée à l’encontre de l’espèce.
S’ensuivent des mesures formelles et informelles de contrôle de la population, telles que l’abattage pur et simple, l’abattage et la stérilisation.
Une menace plus insidieuse, mais réelle, est l’opinion de certaines autorités publiques et de la faune sauvage selon laquelle M. fascicularis est sans importance, un ravageur décrié, surabondant et qui devrait être éliminé. Un tel sentiment a donné naissance à la perception illusoire selon laquelle les macaques à longue queue sont surabondants partout dans leur aire de répartition.
À Bali, les populations de macaques évoluent dans différents endroits et temples, et on peut en voir facilement au bord des routes, mais l’endroit le plus connu semble être sans contexte la Monkey Forest à Ubud.Ce lieu sacré depuis le XIV éme siècle abriterait des forces spirituelles et des esprits gardiens. Les singes y sont considérés comme des animaux sacrés, symbolisant à la fois la protection et le mal, et créant un lien unique entre les humains et la faune.
Photo credit : Sophie Wyseur
Au Viet Nam, la détention de cette espèce comme animal de compagnie est très courante, bien qu’elle soit protégée par la loi. Les macaques à longue queue confisqués sont souvent relâchés sans procédure appropriée, ce qui contribue à des interactions négatives entre humains et macaques et à une éventuelle introduction de maladies et de parasites dans la zone de lâcher.
Actuellement, les organisations indonésiennes, philippines et vietnamiennes signalent que la capture d’animaux de compagnie et la recherche constituent la principale menace.
Le Cambodge signale que le principal problème est la déforestation, la chasse de subsistance étant également une menace pour l’espèce, bien que surveillée et bien documentée.
En général, il existe peu d’efforts durables pour maintenir les populations de macaques à longue queue en Asie du Sud-Est. La plupart des travaux sur l’espèce impliquent la persécution et l’élimination. Il n’existe qu’un seul programme national (perfectible) géré par les agences gouvernementales de la faune pour le recensement des macaques à longue queue, et c’est à Singapour.
Photo credit : Sophie Wyseur
La mise en place de programmes de gestion de la faune pour les macaques à longue queue est pourtant essentielle à la survie de l’espèce, et des efforts urgents sont nécessaires pour établir un recensement régulier de M. fascicularis, ainsi que pour concevoir et mettre en œuvre des plans de gestion et de protection fondés sur des preuves dans toute l’Asie du Sud-Est.
Il est également important de créer des programmes de coexistence pour les humains et les macaques à longue queue, où les populations locales reçoivent l’aide dont elles ont besoin pour coexister avec l’espèce.
En termes de protection déjà conférée à M. fascicularis, l’espèce est inscrite à l’Annexe II de la CITES, elle est donc surveillée et nécessite des permis pour le commerce international de spécimens vivants et de leurs parties.
-Au Cambodge et aux Philippines, c’est une espèce normalement protégée.
-Au Myanmar, elle a récemment été jugée vulnérable, mais elle reste légalement une espèce normalement protégée.
– Au Viêt Nam, c’est une espèce protégée inscrite à l’Annexe 2B du Décret 84/2021/ND-CP.
– En Thaïlande, elle n’est pas spécifiquement répertoriée dans la loi sur la préservation et la protection des animaux sauvages mais bénéficie de la protection normale de la faune, ce qui restreint la chasse et la capture dans toutes les zones protégées et terres forestières.
-À Singapour, conformément à la loi sur les animaux sauvages et les oiseaux, il est interdit de capturer, de détenir comme animaux de compagnie ou de commercer sans autorisation tous les animaux sauvages.
-En Malaisie, le macaque est protégé conformément à la loi sur la conservation de la faune de 2010.
-En Inde, il est inscrit à l’annexe I, partie I, de la faune indienne (loi de protection) de 1972 et est considéré comme une espèce en voie de disparition en raison de son aire de répartition limitée.
– En revanche, elle n’est pas répertoriée comme espèce protégée en Indonésie (et donc à Bali) mais est juste soumise à un système national de quotas de capture dans la nature.
Photo credit : Sophie Wyseur
Le macaque à longue queue est l’espèce de primates la plus commercialisée, l’espèce de primates la plus abattue, l’espèce de primates la plus persécutée et, si l’on considère le nombre de menaces et le déclin de la population, peut-être l’une des espèces de primates les plus menacées actuellement.
Pour la sauver de l’extinction, il faudrait lui reconnaître les rôles écologiques et culturels qu’elle joue, changer notre prisme et notre discours à son sujet et lancer des activités de conservation concrètes et efficaces le plus rapidement possible.
Sophie Wyseur