L’appellation même d’ours « polaire » ne devrait-elle pas suffire pour penser qu’il est inconcevable qu’un être vivant, dont toutes les caractéristiques physiologiques lui permettre de vivre en territoire à températures négatives, n’a pas sa place en dehors de ces frontières ? Force est de constater qu’aujourd’hui, la curiosité humaine est supérieure au bien-être des autres animaux avec lesquels nous cohabitons.
L’ours blanc, ou ours polaire, quand il est dans son espace naturel, vit dans des régions arctiques. Son physique est adapté pour le grand froid. Une épaisse couche de graisse et de fourrure l’isole ainsi des basses températures qu’il côtoie.
Selon l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) la population d’ours polaire est estimée à environ vingt-mille.
Cette espèce classée « vulnérable » (soit « haut risque de mise en danger ») depuis 2015, est l’une des premières victimes du réchauffement climatique. La fonte des glaces viendrait à imposer de plus longues distances et de plus grands efforts pour se nourrir et hiverner. En effet, selon l’UICN, d’ici 2050, deux tiers de la population aura disparu.
En 1973, cinq pays (la Russie, le Canada, le Danemark, les États-Unis et la Norvège) ont fait le choix de signer l’Accord international sur la conservation des ours blancs et leur habitat et se sont engagés notamment à « agir comme il convient » pour assurer leur protection.
L’ours polaire captif est sujet à des stéréotypies (troubles du comportement tels que des balancements, va-et-vient) qui sont la conséquence directe de stress et de troubles psychologiques. La captivité conserve peut être l’espèce, mais à quel prix ?
L’ours vit dans son habitat naturel à une température moyenne n’excédant pas 0°C, et peut parcourir entre 14 et 18 kilomètres quotidiennement sur des aires pouvant s’étendre à 500 000 km2. Sa nourriture se constitue principalement de phoques dont la chair est grasse et s’adaptant de fait parfaitement au métabolisme de l’ours polaire. De nature solitaire, le mâle et la femelle ne se rencontrent que furtivement pour se reproduire, et la femelle s’occupe de l’éducation de ses petits pendant environ 3 ans[1].
Les besoins physiologiques d’un ours polaire peuvent-ils être respectés/satisfaits derrière les barreaux ? Bien que l’espace soit plus grand et que ce soient des vitres transparentes qui entourent son enclos, la cage elle, ne disparait pas. Nulle banquise à l’horizon, un bassin plus ou moins grand (selon les zoos), un régime pauvre en graisse ne pouvant satisfaire le plus grand carnivore arctique. En bref, à mille lieues de son habitat naturel.
[1] La géopolitique de l’ours polaire – De Farid Benhammou et Rémy Marion (2015)
Photo 2 : Zoo d’Higashiyama, Japon, 2008.
Un autre phénomène a démontré les aspects négatifs de la captivité des ours polaires, lorsque le climat du zoo est chaud et humide. Une algue se développe ainsi dans leur fourrure la rendant verdâtre. Cette algue ne se trouve pas en Arctique, et ne peut survivre à de telles températures. À l’état sauvage, cet évènement ne se produit donc pas. En effet c’est lorsque l’extrémité des poils se casse, par exemple lorsque l’ours se frotte contre le béton (les parois de son enclos notamment), que l’algue se développe dans la brèche des poils, modifiant ainsi sa couleur (Robinson et Lewin, 1979).
Bien que cela ne cause aucun mal à l’ours, c’est un élément additionnel contre la captivité, car cette anomalie n’aurait pas lieu dans son habitat naturel.
Pour en savoir plus : BusinessInsider explique dans une vidéo comment la fourrure de l’ours polaire peut varier de coloration.
Ne pouvant se fournir dans la nature, les prêts entre zoos ne cessent de se multiplier pour ravir les visiteurs et dans certains cas, permettre la reproduction. La question se pose si tout cela se fait réellement dans le but de perpétuer l’espèce, et non afin d’assurer la relève des prochaines générations d’ours polaires.
C’est ainsi que Quintana, née à Munich, va rejoindre La Flèche, qui attendra la période de reproduction pour la faire cohabiter avec Taïko, l’ours polaire mâle du zoo.
La « terre des ours polaires » est accessible au public depuis le 11 juillet 2020. L’argumentaire avancé par la page dédiée à ce nouvel évènement sur le zoo de La Flèche laisse de marbre. C’est en effet assez peu concevable qu’un tel établissement puisse se vanter de préoccupation comme celle du bien-être animal, l’ours polaire n’ayant tout simplement pas sa place en captivité.
Photo 4 : Code Animal – Juillet 2019
La protection d’un être vivant suggère-t-elle d’office son enfermement ? Telle est la doctrine avancée pour justifier la présence des zoos. « Protéger la biodiversité » ou encore « impliquer les générations futures » sont les arguments dont use notamment le zoo de La Flèche, dans la Sarthe.
Un visiteur s’émerveillerait face à tant de bien-pensance, défendre les animaux sauvages du réchauffement climatique et du commerce illégal est une mission honorable. Mais la perpétuité est-elle réellement enviable, et surtout, est-ce véritablement la seule solution ?
Aujourd’hui le terme de « parc de conservation » est utilisé, tout comme les « bioparcs » pour marquer cette volonté de protection de l’environnement.
Les zoos sont aujourd’hui des attractions touristiques et familiales qui constituent un business juteux pour les actionnaires qui gèrent ces prisons. En 2019, le zoo de La Flèche comptait 410 000 visiteurs, soit une hausse de 8% sur l’année 2018.
Photo 5 : Code Animal – Juillet 2019
Désormais il est également possible à partir de 285€ par adulte de passer « un moment inoubliable dans un cadre grandiose pour dormir face aux ours polaires » dans une lodge.
Derrière ces arguments de protection animale se cachent des investisseurs. Un retour sur investissement est donc attendu et exigé. Ceux qui prétendent sauver des êtres vivants d’une vie malheureuse monnaient en réalité leur captivité pour s’enrichir. Les zoos ne sont ni plus ni moins qu’un trafic légal d’êtres vivants.
Le principe du zoo a-t-il toujours sa place dans notre société ? Ne sera-t-il pas vu par les générations futures comme les « Freak shows » des XIXème et XXème siècles ?
Les zoos se vantent souvent de la longévité de la vie des ours polaires passés au sein de leur établissement. Un ours polaire dans son habitat naturel peut vivre entre 15 et 30 ans. En captivité, cette longévité est davantage de l’ordre d’une trentaine d’années en moyenne.
Toutefois, 2018 fut une année funeste pour les ours polaires français tenus en captivité. L’hexagone à lui seul a compté quatre décès sur cette seule année : Olaf du zoo d’Amnéville, était âgé de 31 ans ; Vienna au zoo de la Palmyre, âgée de 30 ans, décédée suite à une opération ; quelques mois plus tard, c’est le couple Tania (23 ans) et Moni (32 ans) qui succombe d’une insuffisance rénale pour la femelle et d’une insuffisance cardiaque et d’arthrose pour le mâle ; Katinka, euthanasiée à l’âge de 28 ans en juin 2018 au zoo de La Flèche, souffrait de spondylarthrose[1].
En 2020, Tina au zoo de Mulhouse, est décédée à 34 ans d’un AVC.
Les parcs zoologiques sont élaborés pour répondre à quatre principes : le divertissement, la conservation des espèces, l’éducation et la science. Aucun de ces principes ne répond au bien-être animal, tous servent l’intérêt humain. Il n’y a pas grand intérêt à conserver une espèce si sa vie se résume à une souffrance perpétuelle, car celle-ci ne jouit pas de son habitat naturel lié à ses besoins physiologiques.
[1] Il y a deux causes à la spondylarthrose : le vieillissement normal de l’organisme ou lorsque l’arthrose est précoce et donc quand « la colonne vertébrale est fortement utilisée pendant une plus longue période (…). Certains sports, des postures malsaines dans les professions ou le surpoids peuvent être décrits comme un tel stress. » Source
Si les cages sont plus grandes et les enclos sont dotés de verdures et de bassin, le concept reste en lui-même archaïque. Le parallélisme avec une prison humaine est facile à établir, s’ajoute pour les autres animaux qu’ils n’ont été coupables d’aucun crime, et qu’une seule peine est applicable : la perpétuité.
Pénélope Ehles