Une étude scientifique de Sylvain Bonhommeau, Laurent Dubroca, Olivier Le Pape, Julien Barde, David M. Kaplan, Emmanuel Chassot, et Anne-Elise Nieblas publiée dans PNAS (Proceedings of the National Academy of Sciences) en 2013 et intitulée « Eating up the world’s food web and the human trophic level » casse tous les mythes et place l’humain au même niveau que l’anchois dans la chaine alimentaire.
Il était temps !
Des scientifiques français ont enfin eu le courage de confronter l’humain à ses mythes. Pour la première fois, ils ont en effet calculé, en moyenne, la place de l’humain dans la chaine alimentaire (chaine trophique) en fonction de son régime alimentaire, soit l’indice trophique de l’humain.
Pour rappel, les niveaux trophiques sont définis comme un ensemble de relations qui s’établissent entre différents organismes et dans un écosystème donné en fonction de la façon dont ils se nourrissent. Il existe donc une multitude de chaines trophiques.
Les calculs :
On distingue 3 niveaux / catégories :
- Les producteurs autotrophes comme les algues, capables de faire de la photosynthèse et ainsi de fabriquer de l’énergie à partir du gaz carbonique de l’air.
- Les consommateurs primaires (les herbivores qui se nourrissement des producteurs), les consommateurs secondaires (les carnivores qui se nourrissent d’herbivores) et les consommateurs tertiaires (les carnivores qui se nourrissent eux-mêmes de carnivores secondaires).
- Les décomposeurs comme les champignons, qui dégradent la matière organique et restituent au sol les minéraux.
Les scientifiques utilisent les relations alimentaires des organismes pour définir leur dans la chaine trophique. Autrement dit, le niveau trophique représente donc « le nombre d’intermédiaires entre les producteurs primaires et leur prédateur ». C’est un modèle de calcul de base, connu et appliqué dans les domaines de l’écologie.
Par exemple, les graminées sont définies comme le niveau 1 et les vaches qui se nourrissent de ces graminées sont définis au niveau 2. Les espèces qui se nourrissent à moitié de graminées et à moitié de vaches sont définies au niveau 2.5. Les super prédateurs comme l’ours polaire ou l’orque sont définis au niveau le plus haut soit le 5.5, ils se nourrissement de prédateurs et n’ont pas eux-mêmes d’autres prédateurs.
Puis des calculs sont faits en fonction de la perte d’énergie qui passe d’organisme en organisme au fil de la chaine trophique. Ce qui signifie que plus de production primaire est nécessaire pour maintenir des niveaux trophiques plus élevés. L’étude donne un exemple : « En supposant une perte d’énergie lors du transfert de 10 %, il faudrait 100 kg C de production primaire pour produire 1 kg C d’une espèce qui a un niveau trophique définit à 3. Ce pourcentage est une moyenne qui varie significativement en fonction des écosystèmes (3-20%) » (p.2).
Afin d’obtenir ses résultats et calculer pour la première fois l’indice trophique de l’humain, l’étude s’est basée sur les données nationales de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) sur l’approvisionnement alimentaire humain par aliment par habitant et par an entre 1961 et 2009. Les données ont été recensées pour 176 pays.
Résultats
La moyenne de l’évaluation quantitative du niveau trophique humain (HTL) est de 2.21/5.5.
A noter que ce score évolue en fonction des habitudes alimentaires des pays et de l’évolution de ces habitudes alimentaires au fil des années. Cette étude permet également de voir les différences d’habitudes alimentaires en fonction des contextes socio-économiques dans les pays du monde. Ainsi, nous avons un groupe dont le régime alimentaire est principalement basé sur les végétaux (pays subsahariens et la plupart de l’Asie du Sud-Est), un groupe dont l’alimentation en produits animaux est en augmentation (Chine, Brésil ou encore l’Europe du Sud) et un groupe dont la consommation de produits animaux est en diminution (Amérique du Nord, Europe du Nord ou Australie). Un groupe se détache également avec des régimes alimentaires traditionnels principalement composés de viande, de poisson ou de produits laitiers et une faible consommation de légumes (Islande).
Les chercheurs constatent dans l’étude que le niveau trophique humain a augmenté de 3 % entre 1961 et 2009. Cela s’explique par l’augmentation des richesses, l’urbanisation ou le niveau d’éducation. L’alimentation de l’humain a un impact plus important sur son écosystème (quantités et diversité des aliments consommés et augmentation des déchets). Cette évolution pose la question de la durabilité de l’exploitation des ressources naturelles vis-à-vis de l’alimentation humaine.
« Au final, cet indice nous permet de mieux comprendre l’impact de notre alimentation sur notre capacité future à nourrir les 9 milliards d’êtres humains en 2050 », assure Sylvain Bonhommeau.
Analyse des résultats
Ainsi avec un HTL de 2.21, l’humain se retrouve au même niveau que l’anchois ou le cochon dans la chaine trophique. Ce qui vaut dire que l’humain est omnivore et qu’il se nourrit comme l’anchois ou le cochon de produits végétaux et animaux pour la plupart eux-mêmes herbivores ou omnivores, contrairement aux prédateurs carnivores qui eux, se nourrissent exclusivement de chairs ou de tissus d’animaux vivants ou morts.
L’orque par exemple, est un super prédateur (prédateur alpha ou apex prédateur) qui se nourrit essentiellement d’oiseaux de mer, de calamars, de pieuvres, de tortues de mer de requins, de raies et de poissons. Ils mangent également la plupart des mammifères marins, tels que les phoques et les dugongs.
Mise en perspective
Comme le mentionnent les auteurs du texte, même si les humains ne sont pas des super prédateurs, ils dominent les écosystèmes via notamment des changements dans les utilisations des terres, dans la biodiversité ou dans le climat. En ce sens le terme super-prédateur n’est pas dans le sens chaine trophique.
« Cette étude fournit un outil très utile pour mesurer le régime alimentaire humain. Par contre, elle ne doit pas laisser penser que l’impact de l’homme sur les écosystèmes est mesuré, prévient Franck Courchamp, écologue directeur de recherches au CNRS. Car cet impact ne se réduit pas à son alimentation. La pollution, les espèces invasives, le braconnage d’espèces : tout cela, qui n’est pas mesuré par le niveau trophique, détruit les ressources et altère les écosystèmes. De ce point de vue, l’homme reste un super prédateur. »
Cette étude montre également que plus la consommation de produits animaux augmente et plus la pression sur l’environnement augmente. Code Animal a synthétisé le dossier UNEA « Making Peace with nature » en 2021 pour plus de détails sur ces sujets.
Le rapport de l’UNEA démontre aussi que la réduction de la consommation de produits carnés et un changement dans nos régimes alimentaires pour une alimentaire plus végétale améliorent la santé humain et réduit les pressions sur les sols, l’eau et la biodiversité.
https://www.code-animal.com/blueprint-unep-2021-making-peace-with-nature-resume/
Alexandra Morette
Etude à lire :
https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.1305827110
Video de Docteur Nozman pour aller plus loin
https://www.youtube.com/watch?v=ugJYvXjYueA