L’étonnante capacité de communication des cachalots

Imaginez-vous que dans un futur proche, nous soyons capables de comprendre et peut être même de communiquer directement avec des animaux.

Ce projet vous semble un peu fou ?

C’est pourtant un sujet sur lequel plusieurs scientifiques travaillent et ce sont les cachalots qui sont au centre de leur attention, du fait de leurs étonnantes capacités de communication.

Comprendre la communication des cachalots

Des chercheurs ont remarqué que les cachalots émettaient des sons étranges pendant leurs moments de socialisation. Ces séquences de trois à vingt clics sont appelées « codas ».  Via ces clics, les cachalots sont capables de communiquer entre eux et de s’écho-localiser.

Afin de produire ces codas, les cachalots chassent l’air à travers des lèvres (appelées museau de singe sur le schéma ci-dessous) situées à l’avant de leur nez. Comme pour les cordes vocales chez les humains, c’est le passage de l’air à travers ce museau de singe qui va permettre la création d’un son. Pour s’écho-localiser, la vibration va ensuite se rendre jusque dans une grande cavité appelée « spermaceti » dans laquelle le son va rebondir comme dans une caisse de résonance.

Source : http://planete.gaia.free.fr/animal/mamarins/cachalots.html#soc2

Un ambitieux projet a été mis en place par une équipe interdisciplinaire de scientifiques pilotée par Michael Bronstein. Il s’agit du projet CETI (Cetacean Translation Initiative) initié en mars 2020 dont le but est d’utiliser l’intelligence artificielle afin de décoder les codas des cachalots. Pour arriver à leurs fins, les scientifiques vont devoir accumuler des milliards de codas afin de pouvoir utiliser un algorithme NLP (Natural Language Processing), c’est-à-dire une technique utilisant le traitement automatique du langage naturel.

Les scientifiques s’embarquent donc pour une longue aventure puisqu’ils vont devoir se baser sur les écoutes de milliards de codas et observer dans le détail les contextes dans lesquels ils sont émis.   

La communication sophistiquée de ces animaux ajoutée à leur mode de vie en groupe et leurs forts liens sociaux rend les cachalots extrêmement intéressants pour mener ce type d’étude.

La volonté des membres du CETI est que les données accumulées dans le cadre du projet soient rendues publiques afin d’étendre encore d‘avantage la base de données existante et ainsi faciliter les futures recherches sur ce thème. Pour leur part, ils peuvent déjà utiliser la base de donnée mise à disposition par le Dominica Sperm Whale Project qui a déjà collecté plus de 10 000 codas !

Grâce à l’accumulation de ces multitudes de données, les chercheurs espèrent pouvoir percer le mystère de cette communication et peut être découvrir le langage des cachalots.

L’ultime étape, en cas de succès, consisterait à mettre en place un chatbot afin de tenter de rentrer en communication avec les cachalots dans leur milieu naturel… 

Source : Youtube National Geographic

Peut-on réellement parler de langage ?

Il est important de ne pas confondre le langage et la communication. Alors que la communication entre animaux ne fait aucun doute, la question du langage animal partage pour sa part d’avantage les chercheurs. Il est possible de parler de « langage » lorsque 3 éléments sont réunis :

  • Une signification qui dure dans le temps
  • Une grammaire (des règles de construction du langage)
  • L’apprentissage

Aujourd’hui, plusieurs scientifiques travaillent sur le sujet du langage animal comme le Dr Vyacheslav Ryabov qui étudie les dauphins dans la réserve marine de Karadag par exemple. Bien que les résultats de ces études soient encourageants, il est encore trop tôt pour affirmer qu’un réel langage existe entre ces animaux.

Le projet CETI s’avère dont être un travail de longue haleine, mais pour les chercheurs, cela en vaut la peine.

Les scientifiques peuvent déjà affirmer que le mode de communication de ces cétacés semble bien plus étendu et subtil que ce que l’on pourrait penser. En effet, le contexte éco-social rentre fortement en compte et les codas sont différents selon l’intention de l’animal (s’il souhaite indiquer un danger à ses congénères, jouer avec eux, se localiser par rapport à eux ou bien encore exprimer un désir sexuel par exemple).

Au-delà de cet aspect socioculturel des codas, les clics des cachalots jouent également sur leur survie puisqu’ils s’en servent afin de repérer leurs proies dans l’océan.

Source : © Reinhard Dirscherl/ullstein bild via Getty Images – Sur Geo

Une communication soumise aux dangers de la mondialisation

En plus de l’existence de certains aléas naturels qui viennent perturber la communication des cachalots

tels que la densité de l’eau, la réflexion/réfraction, les bruits environnants etc. ; des facteurs humains peuvent également venir déstabiliser les cachalots et parfois même, mener à leur mort.

En effet, les bateaux, les sonars de l’armée ou encore les diverses exploitations sous-marines (gaz, pétrole) modifient la manière avec laquelle ces cétacés perçoivent les ondes sonores, ce qui peut mener à de réelles catastrophes.

Pour preuve, une étude de l’IFAW (le fond international pour la protection des animaux) a révélé que ces éléments humains engendraient une nouvelle source de bruit pour les cétacés, pouvant mener à une grande déstabilisation. L’ouïe étant primordiale pour les cachalots, cette accumulation de bruit peut dérégler leur sonar, entrainant parfois la surdité ou les poussant vers les rivages sur lesquels ils mourront en s’échouant. 

Pour rappel, on trouve deux types de sonar : le passif (qui reçoit) et l’actif (qui transmet).

Lorsqu’un sonar miliaire émet des ondes, les cétacés peuvent rapidement devenir des cibles puisque leur sonar va devenir passif. Leur communication est ainsi altérée, impactant de manière négative leur liens sociaux tout comme l’écholocalisation de leurs proies. Ces sons peuvent également entrainer la fuite de l’animal loin du bruit indésirable et prolonger son temps sous l’eau. Le cachalot étant un animal ayant besoin de remonter régulièrement à la surface pour s’oxygéner, il peut ainsi se mettre en danger.

En plus de ces modifications comportementales, des études ont montrés que les activités humaines entrainaient une diminution du bien être des cétacés via l’augmentation de leur niveau de stress. Ce point a notamment été prouvé par une étude de 2018 initiée par une équipe de la Baylor university du Texas.

C’est en étudiant le cérumen de baleine qu’ils sont arrivés à ce constat. En effet, le cérumen est particulièrement intéressant dans le cas d’études sur les cétacés puisqu’il s’accumule de la naissance à la mort de l’animal et chaque couche garde une trace des hormones qu’il produit. Cette accumulation de couches a donc permis aux scientifiques de noter une nette augmentation du niveau de stress chez les animaux, en lien avec l’augmentation des activités humaines dans leurs environnements.

Source : Chaine Youtube Espace des Sciences

Aller plus loin dans la protection des animaux marins

Ainsi, il est donc nécessaire de mettre en place des solutions rapides et efficaces pour protéger les cétacés de nos activités. Il est nécessaire de mettre en œuvre de nouvelles lois et restrictions pour assurer leur protection contre ces nuisances sonores dont nous sommes responsables.

Pour ce faire, il est impératif de mieux comprendre le mode de fonctionnement de ces animaux ainsi que leurs modes de communication pour mieux cibler les actions à mettre en place.

Les diverses études menées aujourd’hui sur la communication entre cétacés pourraient également mener à des conclusions qui nous pousseraient à revoir la manière dont nous traitons ces animaux.

En effet, si les études en cours révèlent avec certitude que les cétacés comme les cachalots ont un langage propre et que nous parvenons à le décrypter et parler avec eux, ce constat soulèverait de nouveaux problèmes éthiques. Pour beaucoup, la langue est la principale différenciation entre les animaux et les êtres humains. Si ce constat venait à être bousculé, c’est tout notre mode de fonctionnement auprès des animaux qui s’en verrait impacté et cela pourrait être une véritable leçon sur la manière avec laquelle nous appréhendons le monde du vivant.

Johanna Nief

Photo credit : istockphoto

Sources

https://www.nationalgeographic.fr/video/animaux/limpressionnante-technique-de-communication-des-cachalots

https://mrmondialisation.org/la-communication-entre-cetaces-parasitee-par-lactivite-humaine/

https://sciencepost.fr/parler-avec-les-cachalots/

https://trustmyscience.com/intelligence-artificielle-pour-communiquer-avec-cachalots/

https://www.sciencesetavenir.fr/animaux/animaux-marins/le-stress-des-baleines-se-lit-dans-leur-cerumen_129658

https://www.nouvelobs.com/sciences/20160912.OBS7843/les-dauphins-ont-ils-un-langage-aussi-developpe-que-celui-des-humains.html

Credit photo entête : © Getty / by wildestanimal