Les gorilles au cœur des conflits à Virunga

Le parc Virunga

Le Parc national des Virunga, anciennement appelé Parc Albert sous la colonisation belge, est l’un des premiers parcs nationaux de la République Démocratique du Congo et d’Afrique. Il a été créé en 1925 et est situé dans l’est du pays et couvre en partie les montagnes des Virunga, près du Rwanda et de l’Ouganda, soit une superficie de 7 769 km². En 1979, il est nommé patrimoine mondial UNESCO pour son exceptionnelle biodiversité. Plus de 3 000 espèces fauniques et florales ont été enregistrées, dont plus de 300 sont endémiques au Rift Albertin, notamment le gorille de l’Est (Gorilla beringei) et le singe doré (Cercopithecus kandti).

En 2007, un partenariat a été établi entre une association caritative financée par des donateurs privés, l’Union européenne, la fondation Howard G Buffett et le service congolais de la faune. De Merode, un aristocrate belge, est nommé par l’ICCN (Institut congolais pour la conservation de la nature) conservateur du parc national des Virunga. Il souhaite mettre en œuvre de vastes réformes. Il est aujourd’hui le directeur du parc depuis 2008. Environ 80% des coûts de gestion sont subventionnés par la Commission Européenne. Les dispositifs de protection du parc ont été militarisés au cours des années suivantes pour dissuader les groupes rebelles armés et les braconniers d’opérer à l’intérieur du parc.

Les rangers reçoivent désormais un salaire mensuel de 250 $, une somme importante localement.

Il crée l’Alliance Virunga en 2011, un partenariat public-privé afin de mettre à flot ses projets de développement économiques pour le pays. Les initiatives se sont concentrées sur les communautés locales, avec des microcrédits et des projets d’énergie hydroélectrique pour stimuler l’économie locale.

En savoir plus : https://www.virunga.org/fr/alliance

Les gorilles

Grâce au travail de Dian Fossey, le gorille de montagne (Gorilla beringei) est protégé depuis les années 1970. Ils vivent dans les forêts de la chaîne volcanique du parc du Virunga. A l’époque, ils étaient environ 275 individus. Aujourd’hui, ils seraient 480 primates organisés en huit groupes.

Dian Fossey est une primatologue américaine, spécialisée dans l’étude du comportement des gorilles de l’Est. En 1985, elle a été assassinée de plusieurs coups de machette dans le centre qu’elle avait créé pour observer les animaux.

Lire plus : https://www.nationalgeographic.fr/animaux/dian-fossey-la-scientifique-qui-change-notre-regard-sur-les-gorilles

Le Covid-19

Le 23 mars 2020, alors que la pandémie de Covid-19 a finalement atteint la RDC, le parc décide de fermer ses portes aux touristes jusqu’en juin, afin de protéger les gorilles contre le nouveau coronavirus, ces animaux étant sensibles aux maladies respiratoires des humains.

Lire plus : https://www.code-animal.com/lhumain-transmet-il-ses-maladies-aux-grands-singes/

L’attaque d’avril 2020

Vendredi 24 avril 2020, 12 gardes du parc national des Virunga et 5 civils ont été tués lors d’une attaque qui aurait été perpétrée par une soixantaine d’assaillants. Selon le communiqué du parc, les gardes qui rentraient au quartier général à Rumangabo sont morts en allant porter secours au véhicule civil pris sous le feu des assaillants. 3 gardes sont sérieusement blessés et l’un d’eux a son pronostic vital engagé.

Le communiqué du parc précise que les attaquants font partie du groupe armé « FDLR-FOCA » – Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR) et sa branche armée, les Forces Combattantes Abacunguzi (FOCA).

Selon un article du journal Mongabay, le Enough Project, qui enquête et mène des campagnes contre la corruption et les violations des droits de l’homme dans les zones de conflit en Afrique, publie un rapport en 2016 qui décrit un cartel de charbon de bois illégal finançant les FDLR. Ces forces armées contrôlent la partie sud-ouest des Virunga, profitant de la production de charbon de bois de haute qualité à partir des forêts de feuillus des Virunga. Les gardes du parc n’ont pas été en mesure de patrouiller dans cette partie du parc depuis les années 1990 – malgré une volonté de recruter, de former et de mieux soutenir le corps de rangers à partir de 2007.

Des raids meurtriers

Depuis 2007, les autorités du parc gèrent un fond de soutien aux familles des rangers des Virunga tués dans l’exercice de leurs fonctions.

Depuis une vingtaine d’années, ce sont plus de 175 gardiens tués.

La zone géographique est très instable politiquement.

Le parc a souffert davantage pendant la guerre civile qui a suivi la chute chaotique de Mobutu en 1997.

Les forces armées appartiennent à de nombreux groupes rebelles différents, qui se battent pour le contrôle des riches ressources de la région.
Le tourisme contribue environ pour 2 millions de dollars au budget annuel des Virunga d’environ 9 millions de dollars.

En 2014, le directeur du parc, Emmanuel De Merode, a été pris dans une embuscade dans laquelle il a reçu quatre balles de kalachnikov et a été laissé pour mort. Finalement conduit à l’hôpital, il a repris ses fonctions un mois plus tard en témoignant de sa détermination de continuer le travail de conservation et de développement du parc national. Ses assaillants restent toutefois inconnus.

En 2018, deux touristes britanniques, Bethan Davies et Robert Jesty, ont été enlevés puis relâchés. La gardienne de parc, Rachel Masika Baraka, a été tuée par les ravisseurs.

Suite à cet événement, le parc a été fermé au tourisme pendant 8 mois.  

Le parc avait réouvert son activité aux touristes en février 2019.

En 2019, un nouveau gardien, Freddy Mahamba Muliro, est tué dans l’exercice de ses fonctions.

Les intérêts des humains

D’importantes réserves pétrolières pourraient se trouver dans le sous-sol du parc des Virunga.

L’État a octroyé, depuis 2009, des permis d’exploration couvrant 85 % de la superficie du parc au bénéfice de Total, ENI et Soco (Royaume-Uni), alors que la loi congolaise interdit toute exploration dans les Virunga. Les deux premières compagnies ont assuré qu’elles ne s’aventureraient pas dans la réserve. Mais SOCO décide d’explorer les environs du Lac Edward, bien que cette dernière soit protégée par l’UNESCO.

Le directeur du parc, Emmanuel de Mérode dénonce ces agissements et dépose auprès du procureur de la République du Congo un dossier à charge contre SOCO, l’accusant de mener sans vergogne des explorations pétrolières dans le parc. Sur le chemin du retour, il a été pris dans une embuscade.

L’un des projets « d’Alliance Virunga » est de construire des centrales hydroélectriques afin de développer l’économie du pays.  En 2016, quatre barrages hydroélectriques ont été construits pour fournir de l’électricité aux petites entreprises et profiter à plus de 200 000 ruraux.

Sauf que

Selon une étude scientifique faite sur 40 000 barrages existants et relatée dans le journal Mongabay, ces infrastructures nuisent à l’écologie des poissons en fragmentant les rivières, en empêchant la migration des espèces, en réduisant le taux d’oxygène dans les réservoirs et les cours d’eau, en perturbant les flux saisonniers et en bloquant les sédiments nutritifs. Par ailleurs, les peuples indigènes et traditionnels pourraient également voir leurs moyens de subsistance et de commerce traditionnels mis à mal en raison de la diminution du nombre de poissons.

Lire l’étude : https://www.pnas.org/content/117/7/3648

Autre problème important dans la région : le charbon de bois, la production illégale dans le parc a augmenté ces dernières années, les producteurs essayant de répondre à la demande des millions de personnes pauvres qui dépendent du charbon de bois comme seule source de combustible.
Cette demande a entraîné la destruction de vastes étendues de forêt des Virunga – ainsi que la mort de gorilles et d’autres espèces sauvages qui en dépendent.

Eco-Makala, un projet financé par REDD +, cherche à réduire l’impact du charbon de bois sur le parc en établissant des plantations d’arbres autour de celui-ci et en distribuant des foyers de combustion qui brûlent plus efficacement le charbon de bois. Ce faisant, le projet espère réduire les émissions de CO2 dues à la déforestation.

Lire plus en détail : https://news.mongabay.com/2016/08/a-dangerous-illegal-necessity-charcoal-reform-comes-to-virunga/

La philanthropie capitaliste ?

Ce qui a attiré notre œil dans la lecture des articles est le fait que le parc soit dirigé par un artistocrate belge. Nous avons donc voulu creuser un peu plus dans l’internet pour trouver quelques éléments de réponse.

Le magazine Jacobin publie un article intéressant à ce sujet en février 2018 (traduction Google Trad).

Howard Buffett a investi dans une série d’initiatives, notamment les centrales hydroélectriques, le développement de routes et l’écotourisme en RDC. Le photographe, fermier, shérif, ancien directeur de la société Coca-Cola et fils du troisième homme le plus riche du monde, a versé des millions dans la région.

Le projet hydroélectrique a été la première étape d’un programme d’investissement établi conjointement par l’autorité congolaise des parcs nationaux (ICCN) et la Fondation Virunga, une association caritative britannique dont le directeur est bel et bien Emmanuel de Mérode. En 2015, Buffett aurait promis 39 millions de dollars supplémentaires pour deux autres installations de production d’électricité, et la Fondation Virunga prévoit de financer davantage de centrales, d’hôtels et de projets d’infrastructure autour du parc au cours des prochaines années. Dans une interview à Reuters, le directeur du parc, Emmanuel de Merode, a déclaré que ces initiatives, en particulier les centrales électriques, créeraient des opportunités d’emploi pour les communautés entourant le parc [et détruiraient la biodiversité environnante].

Et les investissements de Buffett ne s’arrêtent pas là ; de l’autre côté de la frontière au Rwanda, sa fondation a déclaré en 2015 qu’elle investissait 500 millions de dollars sur dix ans afin de « transformer » l’agriculture du pays « en un secteur plus productif, de grande valeur et axé sur le marché ». Jusqu’à présent, la fondation s’est concentrée sur des projets de sécurité alimentaire, avec 67,5% de ses contributions de 2015 pour financer ce secteur.

Comme Bill Gates, il appartient au club exclusif des « philanthropes capitalistes » qui investissent leur richesse pour résoudre les problèmes majeurs du monde dans des domaines comme la santé et l’agriculture. L’énoncé de mission de la Fondation Howard G. Buffett explique que ses investissements « catalysent un changement transformationnel, en particulier pour les populations les plus pauvres et marginalisées du monde ».

Bien que les philanthropes disent qu’ils aident les impuissants, Jens Martens et Karoline Seitz ont documenté comment les dons de bienfaisance profitent également aux riches. Des hommes d’affaires fortunés ont créé les toutes premières fondations américaines au début du XXe siècle pour se protéger de la fiscalité, se forger un prestige et se faire entendre dans les affaires mondiales. Depuis lors, les philanthropes ont acquis une position de plus en plus dominante dans le développement économique, influençant tant les gouvernements que les organisations internationales.

En investissant d’énormes sommes d’argent dans la résolution de problèmes historiques complexes, en développant le secteur privé et en investissant dans des correctifs techniques, ils avancent l’idée que le capitalisme n’est pas la cause, mais la solution, des troubles du monde. Selon l’historien Mikkel Thorup, la philanthropie capitaliste obscurcit le conflit entre riches et pauvres, affirmant plutôt que les riches sont «les meilleurs et peut-être les seuls amis des pauvres».

Dans son livre « No Is Not Enough », Naomi Klein écrit qu’au cours des deux dernières décennies, les libéraux d’élite «se sont tournés vers la classe milliardaire pour résoudre les problèmes» qui étaient auparavant traités «avec une action collective et un secteur public fort». En effet, les solutions proposées par les philanthropes capitalistes dans des domaines comme les soins de santé, l’éducation et l’agriculture érodent les dépenses du secteur public et détournent l’attention des causes structurelles de la pauvreté. Dans l’agriculture, les obstacles structurels comprennent les accords de libéralisation des échanges qui suppriment les tarifs d’importation et permettent aux pays riches d’acheter des produits à bas prix, ainsi que la ruée mondiale vers les terres agricoles, qui, en 2016, s’est traduite par près de cinq cents accords affectant trente millions d’hectares de terre.

Buffett a collaboré avec Partners for Seed in Africa (PASA) et le Programme for Africa’s Seed Systems (PASS), qui soutiennent tous deux des sociétés semencières privées qui vendent des semences hybrides et des engrais aux agriculteurs, un processus qui a été critiqué pour avoir miné l’âge des agriculteurs, les anciennes pratiques de conservation, de partage et d’échange de semences ouvertement et de promotion de la diversité des semences. Les deux programmes font partie de la controversée Alliance pour une révolution verte en Afrique, que les petits exploitants agricoles et les éleveurs de différents pays africains ont critiqué pour la promotion des grandes entreprises et «l’utilisation de la propriété intellectuelle pour établir le contrôle des entreprises sur les semences».

Avec Gates, Buffett a investi 47 millions de dollars dans un projet en partenariat avec Monsanto pour développer des variétés de maïs économes en eau pour les petits agriculteurs. Les critiques ont fait valoir que l’agro-géant tente de transférer la propriété de «l’amélioration du maïs, la production de semences et la commercialisation… dans le secteur privé», incitant ainsi «les petits agriculteurs à adopter des variétés de maïs hybrides et les engrais synthétiques qui les accompagnent et les pesticides »qui profitent en fin de compte aux entreprises semencières et agrochimiques.

La conservation est l’autre domaine prioritaire majeur pour Buffett. Un chouchou des médias, qui entretient un partenariat permanent avec la Fondation Buffett, décrit le parc national de Virunga comme un «État dans l’État»; bien qu’il protège la biodiversité de la région du braconnage et de l’exploration pétrolière, il a également dépossédé les premiers habitants de la région de leurs terres, et ses gardes forestiers formés aux paramilitaires auraient maltraité les communautés autochtones à la périphérie du parc.

Le fait que Howard Buffett puisse investir si librement en RDC est le produit du passé colonial dévastateur du pays ainsi que de sa soumission actuelle au système néolibéral.

Buffett soutient que ses investissements sont nécessaires « parce que personne d’autre n’est intéressé à le faire ». Mais de nombreux citoyens congolais souhaitent un renforcement du secteur public plutôt qu’un investissement privé dans les services. Beaucoup ont rejoint le mouvement social Lucha («Lutte pour le changement») qui a appelé le gouvernement à fournir à l’est de la RDC des services de base comme l’eau courante et des infrastructures adéquates. Dans leur lutte pour voir les besoins matériels des citoyens congolais satisfaits et s’assurer qu’ils peuvent participer à la prise de décisions politiques, nombre de leurs membres ont été victimes de répression et d’arrestation.

Virunga le film

Si vous souhaitez en savoir plus sur le parc et l’action des rangers, Netflix a sorti un film documentaire réalisé par Orlando von Einsiedel et sorti en 2014. Il raconte l’histoire de quatre personnes qui se battent pour protéger le Parc national des Virunga. La compagnie Soco International y a commencé la recherche et l’exploitation de gisements de pétrole, et a été mise en cause par le WWF pour non-respect du statut de Patrimoine mondial de la zone.

 

Lire plus : https://theconversation.com/parc-national-des-virunga-mettre-fin-a-la-conservation-policiere-de-la-nature-118165?fbclid=IwAR1whedA3XKoFguUlIuUS1jTC_Qyl7YvF13rr-1TWsJY9L74yI1_cTw7_04

Alexandra