La girafe, anciennement nommée camélopard, est un mammifère au physique bien particulier dont on vient à peine de découvrir qu’elle est socialement complexe. Une découverte qui peut sembler anodine mais dont les enjeux peuvent être considérables.
Si les données physiques de l’animal ont déjà été récoltées et permettent d’avoir des mesures précises, il semblerait que les découvertes des Dr. Muller et Harris bouleversent les anciennes publications scientifiques et démontrent notre ignorance vis-à-vis de cette espèce. Auparavant, l’animal au cou de deux mètres était considéré comme n’étant pas socialement complexe, c’est-à-dire qu’il pouvait vivre avec des individus sans raison ou lien particulier et dont la composition d’un groupe pouvait varier et ne l’était pas en raison de relations spéciales.
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Une catégorisation longtemps floue
Sur la catégorisation des sous espèces de girafes, les scientifiques ont en 2016 prouvé qu’il existe non pas une mais quatre espèces de girafe. Jusqu’alors on évoquait une espèces et jusqu’à neuf sous-espèces. Elles se distinguent notamment par la couleur et les motifs de leur robe et sont présentes dans différentes aires géographiques.
Crédit photo : Wikipédia [source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Girafe#Taxonomie_et_génétique]
Une étude de 2016 a établit qu’il y avait quatre espèces :
– la girafe du Sud (Giraffa giraffa) comprenant elle-même deux sous-espèces : l’Angola (Giraffa giraffa angolensis) et celle d’Afrique du Sud (Giraffa giraffa giraffa),
– la girafe Masaï (Giraffa tippelskirchi),
– la girafe réticulée (Giraffa reticulata) qui comprend également la girafe de Rothschild,
– la girafe du Nord (Giraffa camelopardalis) incluant la girafe nubienne (Giraffa camelopardalis), celle d’Afrique de l’Ouest (Giraffa peralta) et celle de Kordofan (Giraffa antiquorum).
[Lire l’étude de 2016 « Multi-locus Analyses Reveal Four Giraffe Species Instead of One »]
Menacée d’extinction
La population des girafes a drastiquement baissé, dans la plus grande ignorance. Sa disparition est plus significative que pour les éléphants d’Afrique par exemple (415 000 individus contre environ 90 000 girafes) pour lesquels le braconnage et la chasse sont souvent évoqué.
La girafe n’a qu’un seul réel prédateur : le lion, dont elle pourrait se débarrasser d’un seul coup de pied. Les girafons sont les principales victimes des autres animaux qu’ils côtoient : le taux de mortalité est de 50 à 75 % pour les girafons jusqu’à un an. S’ajoute à cela la déforestation, la chasse et les croyances médicinales locales : la girafe a alors peu de chance de survie.
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Depuis 2016, elle figure dans la liste rouge de l’UICN parmi les espèces classées « vulnérable » c’est-à-dire qu’elle est menacée d’extinction. En effet, la population a diminué de 50% depuis 1985, date à laquelle son statut de conservation UICN était alors de « préoccupation mineure ».
Toutefois, l’organisation distingue les différents statuts en fonction des huit sous-espèces. La girafe du Kordofan et la girafe de Nubie sont en « danger critique » d’extinction avec chacune 1 400 et 450 individus. La girafe réticulée et la girafe Masaï sont classées un rang en dessous, « en danger d’extinction ». La population de cette dernière a chuté de 88% dans certains comtés du Kenya, comme celui de Narok ou de Kitui. La disparition de la girafe est du à plusieurs raisons, notamment l’agriculture et l’exploitation d’énergie naturelle mais aussi à cause des guerres ethniques et de la chasse. En effet, lorsqu’elle n’est pas tuée pour nourrir les villageois, la cervelle, les os et la moelle épinière seraient considérés comme étant un remède contre le virus du sida. Leur queue servirait quand à elle de porte-bonheur. Ainsi sa disparition est disparate et varie selon l’endroit, l’espèce et les populations qui côtoient la girafe.
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Un animal jusqu’alors jugé non social
Une récente étude scientifique a pu démontrer que la girafe est un être socialement aussi complexe que l’éléphant, les grands singes ou encore les orques. Selon l’étude, « Jusqu’en 2000, on croyait que les girafes n’avaient aucune structure sociale (Innis 1958, Foster & Dagg 1972, Dagg & Foster 1976, Leuthold 1979), en grande partie à cause de la fluidité quotidienne de la composition de leur groupe (Foster & Dagg 1972, Pratt & Anderson 1982, Pellew 1984, Pratt & Anderson 1985). » L’une d’elle « a décrit la girafe comme « socialement distante, ne formant aucun lien durable avec ses congénères et s’associant de la manière la plus décontractée » (Estes 1991). »
La structure sociale est la formation d’un groupe d’individus vivant ensemble. Le groupe peut être simplement composé du groupe reproducteur et des progénitures issus de l’accouplement. Ce groupe peut être éphémère mais le couple peut également demeurer ensemble toute leur vie. Il peut aussi y avoir des adultes n’étant pas les géniteurs qui sont intégrés au groupe pour élever les plus jeunes.
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Il peut également s’agir d’un groupe de « plusieurs mâles et plusieurs femelles. (…) Une variante est le système de fission-fusion (…) : les membres de la communauté se déplacent de façon solitaire ou par petits groupes de composition variable, ils se rencontrent au gré de leurs déplacements, s’associent temporairement, pour ensuite se diviser à nouveau. » (Bernard THIERRY, « SOCIÉTÉS ANIMALES », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 22 août 2021. URL : http://www.universalis-edu.com.acces-distant.bnu.fr/encyclopedie/societes-animales/)
Des récentes découvertes bouleversantes
Pour faire perdre son ancienne réputation à la girafe, les deux chercheurs ont revus plus de 400 études, rassemblant les preuves nécessaires démontrant la complexité sociale de ces mammifères.
Au milieu des autres animaux les girafes ont presque été oubliées. Bien que de nature silencieuses, elles sont loin d’avoir une structure sociale si différente des éléphants. Un lien très fort existe entre la mère et le girafon et c’est notamment autour de ce lien que se construit le groupe. À la naissance, le girafon qui naît d’une chute d’environ deux mètre à une quinzaine de minutes pour marcher et se faire guider par sa mère pour téter. S’il reste au sol, celle-ci le piétinera afin de le tuer car il sera alors jugé trop faible et représentera une menace pour la survie du groupe.
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Pour autant, les femelles font leur deuil (tout comme les éléphantes). Zoe Muller, l’une des biologiste à l’origine de cette étude explique notamment avoir observé des « femelles rester plusieurs jours auprès du corps mort d’un girafon, renoncer à se nourrir et s’abreuver » et ceci démontre « la puissance des liens à l’intérieur du groupe ». [vidéo]
Toujours selon l’étude, les femelles ont des relations amicales profondes qui durent, des « camarades de déjeuners » (https://www.bristol.ac.uk/news/2018/november/giraffes-study.html) et organisent des roulements pour surveiller et nourrir les plus jeunes (https://www.researchgate.net/publication/292341702_Stealing_milk_by_young_and_reciprocal_mothers_High_incidence_of_allonursing_in_giraffes_Giraffa_camelopardalis).
Le Dr. Muller a également observé que les femelles vivaient longtemps encore après leurs années de fertilité et arrivé à ce stade, elles contribuent à l’éducation des plus jeunes ainsi qu’à leur fournir les soins nécessaires pour survivre — tout comme cela est observé chez les humaines et les orques. L’« hypothèse de la grande-mère » doit être impérativement testé pour le Dr. Muller et ce, afin de cesser la chasse au trophée qui nuit aux populations et de lui apporter une protection plus rigoureuse.
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Si pour certains scientifiques des recherches supplémentaires doivent être menées (comme le Dr. VanderWaal), le fait même que les girafes pleurent la perte d’un enfant, restent ensemble dans cette épreuve et que plusieurs générations veillent à la survie des plus jeunes devraient pour autant suffire pour lui accorder la protection nécessaire à sa conservation.
Sur le fond, quel changement ?
Un être vivant devrait, quelque que soit son niveau de sociabilité reconnu, avoir droit au respect de sa vie, sa dignité et de ne pas être enfermé et tué. Pour autant, cette récente découverte permettra peut être aux girafes une protection accrue et une meilleure considération de leurs intérêts.
Les études démontrant la sensibilité, le besoin de lien sociaux, la reconnaissance de soi et des autres viendront peut être à se multiplier, forçant enfin l’humain à remettre en question le schéma qu’il suit depuis si longtemps où il figure seul en haut de la pyramide comme être sentient.
Également, ce lien prouvé devrait permettre de revoir l’organisation de l’enferment des girafes dans les zoos. Cette industrie où les plus jeunes sont vendus, échangés dans d’autres zoos pourrait gravement nuire à la santé mentale de ces individus qui vivent déjà enfermés loin de leur habitat naturel.
Une telle connaissance de l’animal aurait pu conduire Marius à une autre fin. Le girafon fut exécuté de sang froid au zoo de Copenhague (Danemark) afin d’éviter toute consanguinité entre les girafes. Le zoo, soutenu par l’EAZA, soutenait qu’aucune alternative n’était possible : la castration était alors jugée inadéquates en raisons des « effets indésirables », la réintroduction trop périlleuse. Pour autant, le zoo de Frösö (Suède) s’était proposé de racheté Marius, sans succès. L’animal fut ensuite disséqué à la vue des visiteurs qui souhaitaient y assister avant d’être donné en nourriture aux lions.
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Avec le recul, si cet incident de 2014 semblait jusqu’alors dépasser la frontière de la morale s’agissant du traitement de ces individus enfermés pour divertir l’humain, le triste sort de Marius au vue de ces découvertes, de la douleur que ressentent cette espèces à la perte d’un proche semble alors d’autant plus cruelle. Également, il est assez troublant qu’un établissement dont la logique est de défendre la vie des animaux vulnérables dans leur habitat naturel, la promotion des naissances comme un signe de bonne santé de ces animaux décide de l’exécution de l’un d’eux. Si les zoos vantent leurs carnets roses, des dizaines d’animaux sont tués chaque années : génétiques pas assez pure, naissances trop nombreuses, etc.
Il est temps de revoir notre rapport à la nature et d’user des récentes découvertes scientifiques pour défendre la seule protection possible : in situ.
Pénélope EHLES
« A review of the social behaviour of the giraffe Giraffa camelopardalis: a misunderstood but socially complex species », Zoe Muller et Stephen Harris, publié le 2 août 2021.
https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/mam.12268
Sources :
https://www.bbc.com/news/science-environment-38240760
https://www.nytimes.com/2021/08/07/science/giraffes-social-behavior.html?smid=tw-share