Deux espèces distinctes
L’éléphant d’Afrique a beau être le plus grand animal terrestre et un des plus iconiques de la planète, la destruction de son habitat, ses conflits avec l’Homme et le fléau du braconnage ont décimé sa population. On compte environ 415 000 éléphants d’Afrique aujourd’hui, contre 3 à 5 millions au début du 20ème siècle.
Dans son rapport officiel publié le 25 mars 2021, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) révèle que les éléphants de savane appartiennent désormais à la catégorie des espèces En danger tandis que les éléphants de forêt ont rejoint les espèces En danger critique d’extinction sur la liste rouge de l’organisme. Cette information représente un tournant dans le monde de la conservation puisque jusqu’à présent, l’UICN, référence mondiale en matière de risques d’extinction, ne faisait pas la distinction entre l’éléphant de savane et l’éléphant de forêt d’Afrique et les classait comme « vulnérables ».
L’éléphant de savane d’Afrique (ci-dessus) est le mieux connu des éléphants ; c’est le plus gros de tous les mammifères terrestres. On le trouve en prairie, marécage et en bord de fleuve jusqu’en Afrique du Sud. La population d’éléphants de savane d’Afrique a baissé d’au moins 60% au cours des 50 dernières années.
L’éléphant de forêt (ci-dessus), plus petit et plus foncé, se rencontre dans les zones tropicales d’Afrique centrale et occidentale. Le nombre d’éléphants de forêt d’Afrique a chuté de plus de 86% sur une période de 31 ans.
Braconnage et autres menaces
« Un éléphant est tué à cause du braconnage toutes les 25 minutes », explique Paul Esteve, membre du Comité français de l’UICN.
Après avoir atteint son point culminant en 2011, le braconnage d’éléphants est en baisse dans certaines régions, notamment en l’Afrique de l’Est. Cependant, il demeure encore et s’intensifie dans d’autres régions, comme en Afrique Centrale et de l’Ouest. Entre 2002 et 2011, pas moins de 62% de la population d’éléphants de forêt a disparu en Afrique centrale. En 2019 on comptait 50% de décès d’éléphants dus au braconnage sur l’ensemble du continent.
Pour mettre fin à ce fléau, un effort mondial contre le trafic d’ivoire est primordial. Alors que beaucoup de pays comme les États-Unis, la Chine, le Royaume-Uni et la France ont mis un terme au commerce légal de l’ivoire sur leur territoire, certaines populations sont en retard. Le Japon, par exemple, succède à la Chine en devenant le plus gros marché d’ivoire.
Source : CITES
Le braconnage n’est pas le seul danger qui plane au-dessus des pachydermes africains. L’agriculture, la construction d’infrastructures et la déforestation contribuent à la perte de leur habitat, elle-même responsable de leur disparition. Une étude publiée par la revue Current Biology en avril estime que 62% du continent africain constituerait un habitat favorable aux mammifères mais que seulement 17% de cette surface serait occupée par les populations actuelles. De nombreuses populations d’éléphants évoluent dans des régions sujettes aux changements liés à l’Homme : exploitation forestière, agriculture, dégradation des zones préservées etc. Force est de constater que l’empreinte humaine a fragmenté l’habitat des éléphants et restreint leur distribution, les empêchant de regagner leur territoire et diminuant ainsi considérablement leurs chances de survie.
Source Pixabay
Outre la perte d’habitat, la présence humaine génère également des conflits homme/animal. Ces deux causes sont étroitement liées : les hommes empiètent sur le territoire des éléphants entraînant ainsi la perte d’habitat qui force les éléphants, manquant de ressources et d’espace, à pénétrer dans les villages et les champs occupés par l’homme, générant ainsi des conflits. Les conséquences de cette rivalité pour l’espace et la nourriture sont bien trop souvent dramatiques d’un côté comme de l’autre : des personnes qui perdent leur récolte, leur bétail et parfois la vie mais aussi des éléphants, déjà en danger, éliminés par vengeance ou pour éviter à de futurs conflits. Au Kenya par exemple, 200 personnes ont été tuées ces sept dernières années. En représailles, les autorités kenyanes abattent entre 50 et 120 éléphants chaque année.
A Gamba (Gabon), le conflit hommes/pachyderme s’intensifie : les éléphants envahissent l’espace urbain rendant difficile la protection des populations et de la faune sauvage.
Source: Gabon Review
L’importance de l’éléphant dans notre écosystème
Il est aujourd’hui primordial de sensibiliser les humains sur le triste sort des pachydermes. Nous ne pouvons pas nous permettre de laisser cette espèce si intelligente disparaître car cela affecterait affreusement notre planète. L’éléphant est un mammifère fondamental dont de nombreuses autres espèces dépendent : en éliminant certains végétaux, il les empêche d’envahir le paysage, et favorise la croissance de l’herbe, indispensable à la survie d’autres animaux.
Paul Esteve, confirme que « les éléphants ont un rôle primordial au sein des écosystèmes, dans la dispersion des graines comme dans la régénération de la forêt. On pourrait dire que l’état de santé de notre planète dépend, d’une certaine manière, de l’état des éléphants et de leur habitat. »
Un éléphant mâle se nourrissant d’un figuier au Kenya. Les éléphants de la savane peuvent transporter des graines sur plusieurs kilomètres et contribuent à maintenir la diversité génétique des arbres.
Source: Science Mag
Photo by Jonathan & Angela Scott
L’impact positif des efforts de conservation
Malgré ce triste bilan et une tendance globale à la baisse chez les deux espèces, les efforts de conservation ne restent pas sans succès. Certaines populations d’éléphants de forêt sont parvenues à se stabiliser dans des aires de conservation au Gabon et en République du Congo grâce aux mesures de lutte contre le braconnage, à une révision de la législation et à une modification de l’utilisation des terres favorisant la coexistence entre l’homme et la faune. Kathleen Gobush, responsable des nouvelles évaluations et membre du Groupe des spécialistes des éléphants d’Afrique espère que cette récente distinction entre les deux espèces attire davantage l’attention sur les éléphants de forêt souvent négligés par les efforts de conservation au détriment de leur cousins plus visibles.
Les efforts anti-braconnage au Kenya ont également porté leurs fruits : on compte désormais 17 000 éléphants de savane dans le parc national de Tsavo contre 6 500 en 1988.
Source : Pixabay
Le MIKE (Monitoring the Illegal Killing of Elephants) mis en place en Afrique depuis 2001 est un programme mis en place par CITES et soutenu par des organismes internationaux, dont le WWF, qui surveille les populations d’éléphants et collecte des données sur la mortalité illégale. Il a pour but d’aider les gouvernements locaux à résoudre les conflits entre les activités économiques et la présence des éléphants. Les informations fournies par MIKE ont contribué à inscrire le problème à l’ordre du jour international et ont incité les dirigeants aux niveaux national et international à prendre des mesures décisives.
En attendant le prochain recensement des éléphants, prévu en 2021 ou 2023,
Benson Okita-Ouma, de l’ONG Save the Elephants et co-président du groupe des spécialistes des éléphants d’Afrique au sein de l’UICN, nous rappelle que « cette classification doit nous servir d’avertissement que si nous n’inversons pas le cours des choses, nous avons de bonnes chances de voir ces animaux frappés d’extinction ».
Maelle
Source : Pixabay
En savoir plus / Sources :
https://www.cell.com/current-biology/fulltext/S0960-9822(21)00381-X
Pour consulter la liste rouge mondiale des espèces menacées en détail :
https://uicn.fr/liste-rouge-mondiale/
Pour en savoir plus sur le programme MIKE
https://cites.org/fra/prog/mike/index.php/portal