3 milliards. C’est le nombre estimé d’animaux touchés par les feux de brousse qui ont embrasé l’Australie de Décembre 2019 à Mars 2020, selon une nouvelle étude. « C’est une des pires catastrophes de l’histoire moderne pour la faune », a déclaré Dermot O’Gorman, directeur général de la branche Australienne du WWF.
En janvier dernier, ce chiffre s’élevait à 1 milliard. Il aurait donc triplé après de récentes découvertes par des universités australiennes. Les flammes sont enfin éteintes mais les scientifiques peinent toujours à comprendre le véritable impact des méga-incendies sur la faune sauvage.
Le sort des koalas, animal emblématique de l’Australie, a touché le monde entier. Mais des centaines d’autres espèces ont été gravement impactées par ces feux. Ces individus ont, soit péris directement dans les flammes, soit migrés vers d’autres habitats alors que leur environnement partait en fumée.
Les nouveaux chiffres, 6 mois après la fin des incendies
- 3 milliards d’animaux indigènes impactés dont :
- 143 millions de mammifères dont 83 espèces & 30 000 koalas tués
- 2,46 milliards de reptiles dont 254 espèces
- 181 millions d’oiseaux dont 378 espèces
- 51 millions de grenouilles dont 102 espèces
- 19 millions d’hectares brulés (équivalents à plus de trois fois les Pays-Bas) dont :
- 12,5 millions d’hectares de forêts & terres boisées brulées
- 70 espèces ont plus de 30% de leur habitat parti en fumée
L’étude n’inclut pas les invertébrés ou les plantes
Le sort s’acharne : après les flammes, un virus meurtrier
Le confinement aura porté le coup de grâce pour des animaux déjà à terre.
En effet, le gouvernement australien a décrété qu’une « intervention immédiate » devait être mise en place pour non moins de 119 espèces, dont la majorité des marsupiaux. Malheureusement, la fin des feux en mars dernier a coïncidé avec l’émergence du COVID-19 à l’échelle mondiale. Les restrictions de voyage ainsi que les nouvelles mesures en place pour faire face à la pandémie ont ainsi donné une fin prématurée à l’intervention des chercheurs et bénévoles sur le terrain.
Pendant plus de deux mois, ces derniers ont installé des points d’eau ainsi que des stations de nourriture pour les survivants, dans un paysage presque réduit en cendres. Les animaux qui ont eu la chance d’être sauvés des flammes et/ou d’avoir survécu à leurs brûlures ont également été relâchés (certains dotés de puces électroniques pour un suivi post-relâché) dans des zones avec suffisamment d’arbres. Mais la réduction de l’aire de surface disponible ainsi que les déplacements de certains animaux vers les habitats d’autres espèces, rendent leur survie sur le long terme préoccupante.
L’assouplissement des restrictions en lien avec la pandémie permettrait aux scientifiques et bénévoles de retourner sur le terrain et de continuer leurs efforts de rétablissement des populations animales impactées par les feux.
Les survivants pourront-ils renaitre des cendres ?
Les animaux ayant échappés aux flammes doivent maintenant faire face à un environnement calciné et dénué de toute vie. Face au manque de nourriture et d’abri (ce qui les rend plus vulnérables aux prédateurs), leurs perspectives « ne sont probablement pas terribles », a indiqué Chris Dicknam, un des auteurs de la nouvelle étude. Il ajoute que « plusieurs espèces disparaitront, il n’y a aucun doute là-dessus ».
En raison de leur nombre important (plus de 50 millions d’individus), les kangourous sont bien les seuls marsupiaux qui n’inquiètent pas les scientifiques.
Dans un nouvel article publié dans Nature Ecology & Evolution, Michelle Ward, chercheuse à l’université de Queensland, rappelle qu’un grand nombre d’espèces indigènes étaient déjà en déclin avant les incendies, en raison « de la déforestation, la sécheresse, des maladies et des espèces invasives ». Après les ravages causés par les flammes, ces espèces se rapprochent dangereusement de l’extinction.
Même les espèces qui étaient jusqu’à maintenant moins vulnérables, comme l’ornithorynque, se retrouvent désormais en danger face à la diminution de leur habitat, Ward et ses collègues estiment une hausse de 14% du nombre d’espèces menacées après les incendies.
Une espèce de marsupiaux vivants dans des terriers a ainsi pu se protéger des flammes et des fumées toxiques, et survivre aux feux : le wombat. Malgré cette apparente bonne nouvelle, son habitat est maintenant tellement dégradé et calciné, que sa survie est également menacée. C’est pourquoi des bénévoles disposent de la nourriture et de l’eau à de nombreux endroits sur leur territoire, en attendant que les zones reverdissent.
Il est cependant impossible de déterminer avec certitude si les écosystèmes se rétabliront en totalité ou si certains de leurs éléments constitutifs (micro-organismes, insectes, champignons, graines, etc.) ont disparus à jamais dans les flammes.
Les leçons de cette catastrophe environnementale
Ward et ses collègues ont appelé le gouvernement australien à réévaluer les espèces indigènes menacées post-catastrophe et à revoir la législation, jusqu’ici trop limitée, sur la protection de la faune sauvage. Une somme de $200 millions dollars australiens a déjà été versée pour soutenir la stratégie de rétablissement des espèces indigènes et de leur habitat.
Les feux de brousse reviennent chaque année à la fin de l’hiver austral mais les activités humaines, et plus globalement le changement climatique, rendent les forêts australiennes plus susceptibles aux incendies. Pour Watson, l’un des auteurs de l’article et professeur à l’Université de Queensland, il est donc primordial « d’apprendre à entretenir les forêts pour réduire le risque d’incendie et protéger les espèces menacées ».
Sans compter la perte de vies humaines, la destruction de bâtiments et de l’environnement, le relâché dans l’atmosphère de millions de tonnes de dioxyde de carbone (exacerbant le réchauffement climatique) et les dommages économiques engendrés par les méga-incendies, « il s’agit de l’une des pires catastrophes naturelles de l’histoire moderne », a déclaré Dermot O’Gorman.
La priorité aujourd’hui est de maintenir le nombre de survivants et de rétablir leur population. Ward préconise à cet effet la nécessité « d’une série de stratégies post-incendies ». Espérons que le gouvernement australien saura tirer les leçons des pires incendies que le pays ait connus, en agissant rapidement et concrètement pour protéger sa biodiversité indigène maintenant terriblement appauvrie.
Camille Luccisano
Sources
Ward, M., Tulloch, A. I., Radford, J. Q., Williams, B. A., Reside, A. E., Macdonald, S. L., … Watson, J. E. (2020). Impact of 2019-2020 mega-fires on Australian fauna habitat. Nature Ecology & Evolution.