Le canton de Bâle-Ville vote contre l’octroi de droits fondamentaux aux primates

Le 13 février 2022 le canton de Bâle-Ville s’est prononcé contre l’octroi de droits fondamentaux pour les primates. Toutefois, 25,26% des Bâloises et Bâlois ont voté en faveur de nos plus proches cousins, avec une participation de 50,94%. Un résultat qui reste non négligeable pour une pareille initiative !

Un vote historique

Si à première vue, ce résultat peut décevoir les défenseurs de la cause animale, il faut savoir que c’est une première historique. En effet, jamais avant un vote n’avait été organisé pour l’octroi de droits fondamentaux aux animaux. Certes, des initiatives avaient déjà été lancées en faveur d’une protection accrue des animaux, mais elles n’avaient jamais auparavant visé à leur octroyer des droits. Et cela explique sans doute la réticence de la population car lorsque l’on évoque la notion de  droit pour les animaux, l’objection principale vient souvent de la crainte d’une mise sur un pied d’égalité de l’humain et des autres animaux. Notre vision anthropocentrée et notre vocabulaire nous conduisent par ailleurs souvent à oublier que l’humain est lui-même un animal, un animal à part, c’est certain, mais un animal tout de même !

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Il y a plus d’une vingtaine de votations [1] par an en Suisse, il peut donc être difficile pour la population de voter en toute connaissance sur les sujets proposés, en ayant pu en amont s’intéresser suffisamment aux problématiques soulevées et sans être politiquement influencée par les partis politiques ou les lobbies.

Le jour du vote en faveur des primates, une votation fédérale proposait également l’interdiction de l’expérimentation sur les animaux et les humains. Bien que cette initiative soit complètement différente de celle lancée par l’association Sentience, l’idée qu’elle ait rendue le public plus réticent est possible, certaines personnes ayant pu penser que cela allait porter préjudice aux secteurs qui exploitent des animaux.

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La Suisse, un pays avancé en matière de protection animale

Quoi qu’il en soit et quel que soit le résultat de ces votes, la Suisse s’avère souvent plus avancée en matière de défense des droits des animaux que ses voisins européens.

Ainsi, la Constitution helvétique reconnaît-elle la « dignité de la créature » dans son article 120. Une définition [2] est donnée par l’article 3 de la loi sur la protection des animaux du 16 décembre 2005. Il en ressort que la dignité désigne la valeur propre de l’animal. Elle est considérée atteinte lorsque la contrainte qui est imposée à l’animal ne peut être justifiée par un ou plusieurs intérêts prépondérants. Ainsi, la dignité animale peut parfois être écartée en cas d’objectif légitime avec lequel il faudra trouver un équilibre.

Si cette protection est donc anthropocentrée, sa présence dans la Constitution reste juridiquement significative.

La Suisse a pris d’autres mesures particulières en faveur du bien-être animal. À titre d’exemple, depuis 2018, le transport des homards et autres décapodes ne peut se faire que sur de la glace ou dans de l’eau glacée. Ils doivent également être préalablement étourdis au moment de l’abattage, interdisant de fait de les plonger dans l’eau bouillante (art. 23, al. 1, 178 et 178a de l’ordonnance sur la protection des animaux).

On peut également citer l’abattage sans étourdissement interdit depuis 1893. Cette interdiction a d’ailleurs été introduite dans la Constitution (article 25b) à la suite d’une initiative populaire à l’échelle fédérale. Depuis 1978 elle n’y figure plus et a été codifiée à l’article 21 de la loi fédérale sur la protection des animaux.

Citons enfin les espèces « sociales » possédées comme animaux de compagnie, et qui doivent depuis 2008 être au minimum par deux. Par exemple, les perruches ondulées ne peuvent être seules, le propriétaire devra alors impérativement avoir deux individus afin de répondre à ce besoin. C’est également le cas pour les rats, les lapins, les cochons d’Inde, les gerbilles ou encore les canaris. Toutefois, pour les hamsters ou certains reptiles, cette exigence ne s’applique pas.

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Le fonctionnement de l’initiative cantonale

La Suisse est une démocratie directe. Les initiatives peuvent être prises à trois échelles : au niveau fédéral, cantonal et communal. Mais afin d’être soumise à votation, l’initiative doit récolter un pourcentage proportionnel de signatures d’électeurs.

La votation peut contenir une proposition plus contraignante qu’à l’échelle fédérale et peut à cet égard être un outil profitable aux animaux (Tribunal fédéral, 16 septembre 2020).

L’initiative avait pour but une application concrète de l’article 641a du Code civil distinguant les animaux des choses et de l’article 120 de la Constitution qui reconnaît « la dignité de l’animal ». La finalité étant la reconnaissance d’un droit à la vie et à l’intégrité physique et psychique.

Une initiative de l’association Sentience

Sentience est un projet de la Fondation pour un Altruisme Efficace né en 2014, l’association indépendante a été fondée à Bâle en 2017, dans le but d’informer le public sur les intérêts des « animaux non-humains ». Avec le terme « sentience » elle met en avant « la capacité à ressentir, et plus particulièrement, celle à ressentir le plaisir et la souffrance » [3] qui n’est pas exclusivement réservée aux humains mais « relève d’une importance fondamentale politiquement parlant. » [4]

L’association est également soutenue par des experts, que ce soit dans les domaines de la durabilité, de l’éthique animale et de l’agriculture afin de défendre les intérêts des (approximativement) 150 primates présents sur le canton et plus généralement, tout animal présent sur le sol helvétique.

Comme évoqué plus haut, il est certain que l’acceptation de cette initiative par les Bâloises et Bâlois aurait changé la donne en matière d’expérimentations, sans pour autant les interdire complètement. Les primates répondent toujours à cette dichotomie bien particulière où ils sont assez proches de nous pour l’expérimentation ou les recherches, mais pas assez pour obtenir une meilleure protection, voire des droits.

Tamina Graber, chargée de la campagne « Des droits fondamentaux pour les primates » nous a expliqué les enjeux et difficultés rencontrés.

Tout d’abord, le contexte était assez particulier. En effet, durant le processus décisionnel, la votation avait d’abord était refusée en raison de son objet — l’octroi de droit fondamentaux aux animaux non-humains — car cela ne relevait pas du ressort constitutionnel. Or, le 16 septembre 2020, le Tribunal fédéral en a jugé autrement et a déclaré la votation valable, laissant à la population cantonale de Bâle-Ville le soin de se prononcer.

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Aussi régnait un certain flou sur les conséquences engendrées si la votation était acceptée par la population. Le secteur public aurait été affecté, notamment s’agissant des universités et du milieu hospitalier recourant à l’expérimentation, sans pour autant avoir nécessairement des conséquences sur le domaine privé. Ainsi, les compagnies privées telles que les zoos ou les industries pharmaceutiques n’étaient qu’indirectement concernées.

L’activité pharmaceutique aurait sans doute été la plus affectée, notamment lorsque les expérimentations menées sur les primates leur causent un préjudice (comme les programmes de dépendance).

Sur le site Internet lancé pour l’occasion [5], Sentience a mis  en lumière que dans la seule ville de Bâle, 929 expérimentations sur les primates avaient été réalisées en l’espace de dix ans. Les expérimentations peuvent considérablement varier selon l’échelle de gravité (allant pour le pire de l’atteinte grave au bien-être ou à l’état général, mais aussi à la douleur/souffrance/angoisse intense ou modérée sur une longue durée). Or, avec les connaissances scientifiques que nous possédons sur les primates, et notre ressemblance, il est difficilement acceptable de poursuivre des expérimentations qui nuisent à leur intégrité.

Le zoo de Bâle est une véritable institution pour ses habitants. Ainsi, revoir les droits des primates a certainement effrayé une grande partie de la population qui apprécie s’y rendre.

Toutefois, il peut être regrettable que le parc zoologique de Bâle n’est pas vu en l’initiative une chance d’agir historiquement en faveur des primates. En effet, Sentience indiquait très clairement que les zoos ne se verraient pas contraints de se séparer de leurs animaux. Aussi, l’octroi de droits n’était alors pas nécessairement incompatible tant que la dignité de l’animal était respectée avec l’instauration de règles éventuellement plus strictes. Par exemple, ses besoins primaires ou sociaux. À ce sujet, on peut se demander si cela aurait évité la mort de  Tatu, un chimpanzé détenu dans le zoo de Bâle, tué par l’un de ces congénères à la mi-décembre 2019. Venu d’un autre zoo selon les recommandations de l’EAZA, Tatu était supposé reprendre la tête du groupe. Or, il avait déjà subi des attaques avant celle qui causa sa mort [6]. Si Tatu avait eu des droits fondamentaux, cela aurait il changé la donne dans le sens où son intégrité individuelle aurait prévalu sur la notion de groupe à reconstituer, le comportement très agressif des chimpanzés vis à vis de leurs congénères étrangers étant bien connu ?

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Par ailleurs, la question des droits est rarement évoquée et cela soulève une question d’éthique : la protection octroyée aux animaux est-elle suffisante pour assurer le respect de leur dignité physique et psychique ? Protéger l’animal, est-ce nécessairement le respecter, ou même le considérer au-delà des intérêts humains ?

Bien que le résultat puisse être frustrant, il n’est pas décourageant ! L’initiative a permis de faire entrer dans le débat public la question des droits, au-delà de la protection, mais également de s’interroger sur la place des primates dans nos sociétés.

Relayés par des médias dans le monde entier, cette question avait été soulevée par d’autres ONG dans le passé.

Quel est l’intérêt d’octroyer des droits fondamentaux et quelles conséquences ?

Des organisations de protection animale ont déjà soulevé l’importance de reconnaître des droits fondamentaux aux primates.

Par exemple, Steven Wise, fondateur du Nonhuman Rights Project s’est en premier penché sur leurs cas. Il se base en effet sur l’Habeas corpus afin d’obtenir la libération de ces animaux emprisonnés sans jugement. Par la reconnaissance de droits fondamentaux, dont le droit à la liberté, les primates peuvent obtenir une protection renforcée. 

Il y a également l’AFADA (Association de défense des droits des animaux argentine), qui a d’ailleurs obtenu la première décision admettant le recours en Habeas corpus au nom et pour le compte d’un animal. En l’espèce, il s’agissait de Cécilia, une chimpanzé détenue dans un zoo en Argentine [7].

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En France, les animaux sont reconnus par le Code civil et le Code rural et de la pêche maritime comme des êtres sensibles. Ils n’ont pas de droits fondamentaux et n’ont pas été intégrés dans la Constitution comme c’est le cas en Allemagne, en Autriche, en Inde ou, comme vu précédemment, en Suisse.

L’intérêt des droits fondamentaux est d’octroyer aux animaux des droits qui ne seraient pas subordonnés à un intérêt humain. Ainsi, dès lors que l’atteinte à l’animal se trouve injustifiée ou non nécessaire, l’intérêt de l’humain n’est pas prioritaire : l’animal doit en somme être protégé sans devenir l’égal de des Hommes : dans cette approche biocentrique, l’animal est protégé pour lui-même en tant qu’individu.

Les limites envisageables doivent remplir des conditions, notamment un objectif d’intérêt général proportionné et donc, nécessaire à l’accomplissement de l’objectif.

La reconnaissance des droits fondamentaux permet donc une protection effective assurant la dignité des primates non-humains.

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Pourquoi les primates ?

Les primates constituent en effet un groupe de 414 espèces (Lecointre et Le Guyader, Classification phylogénétique du vivant (tome 2), Belin, 2017). Ce sont des mammifères au cerveau très développé, avec deux pouces opposables. Ce sont aussi les animaux les plus proches de notre espèce avec lesquels nous partageons 98% de notre ADN.

Les découvertes de Jane Goodall (qui a par ailleurs apporté son soutien à l’initiative de Sentience) ont permis une avancée considérable dans notre rapport avec les animaux. On sait depuis que   l’utilisation d’outils n’est pas l’apanage de l’humain, que certains autres animaux ont aussi des rituels, une culture organisée autour d’une société hiérarchisée avec des règles. On sait également que les primates non-humains sont empathiques et communicatifs. En somme, ils ont un intérêt à vivre pour eux-mêmes.

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Les animaux, victimes d’un système anthropocentré ?

Le droit est une matière faite par et pour l’humain. Des avancées remarquables ont toutefois pu octroyer une protection à l’animal. Celle-ci dépend cependant encore trop souvent de la relation entretenue avec l’humain (par exemple avec les animaux de compagnie en raison d’une valeur sentimentale, ou encore avec les animaux dits « de rente » en raison d’un intérêt sanitaire, d’un plaisir gustatif ou d’une habitude alimentaire).

Il n’est pas nécessaire d’attendre que les États, par un moyen ou un autre, reconnaissent des droits fondamentaux pour prendre des mesures assurant la dignité d’un animal. Remettre en cause notre modèle sociétal et la place que l’on accorde aux animaux est primordial. Encore trop souvent les humains voient les animaux à travers l’utilité qu’ils en tirent, préférant oublier que ce sont également des êtres vivants. Car si les primates sont nos plus proches cousins, nous leur refusons pourtant un droit primaire : celui de vivre dignement.

Pénélope Ehles

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1] Environ une dizaine au niveau national et jusqu’à 10 au niveau cantonal.

[2] « La dignité est la valeur propre de l’animal qui doit être respecte par les personnes qui s’en occupe. Il y a atteinte de la dignité animale lorsque la contrainte qui lui est imposée ne peut être justifiée par des intérêts prépondérant, il y a contrainte notamment lorsque des douleurs, des maux ou des dommages sont causés à l’animal, lorsqu’il est mis dans un état d’anxiété ou avili, lorsqu’on lui fait subir des interventions modifiant profondément ses capacités, ou encore lorsqu’il est instrumentalisé de façon excessive. »

[3] https://sentience.ch/fr/qui-nous-sommes/

[4] Ibid.

[5] https://www.primaten-initiative.ch/en/

[6] https://www.rts.ch/audio-podcast/2021/audio/le-deces-du-chimpanze-tatu-25102034.html

[7] L’importance de la décision est a tempérer car elle a été rendue en première instance, à juge unique et alors qu’un accord entre le zoo et le sanctuaire avait été conclu en cours d’instance.

Sources :

https://www.staatskanzlei.bs.ch/nm/2022-schlussresultat-der-eidgenoessischen-und-kantonalen-abstimmung-vom-13-februar-2022-stk.html

https://www.ge.ch/initiatives-referendums-petitions/initiative-populaire-cantonale

Le site internet de l’association à l’origine de l’initiative : https://sentience.ch/fr/

Pour aller plus loin : https://sentience.ch/de/initiativen/grundrechte-fuer-primaten/