Mondialement connu, médiatisé de façon incroyable de son vivant jusqu’à sa fin tragique, Jumbo reste, dans notre inconscient collectif, la référence, celui qui représente tous les autres éléphants, celui aussi qui symbolise le gigantisme (c’est à lui que le « jumbo » jet, énorme boeing, doit son nom).
L’histoire de Jumbo commence par sa capture en 1861 en Abyssinie pour le compte d’un collectionneur bavarois ; ce bébé de moins d’un an a, comme tous les éléphants d’Afrique, de grandes oreilles, celles qui par la magie d’un dessin animé sorti des studios Disney, en fera, longtemps après sa disparition, Dumbo, l’éléphant volant bien connu.
D’abord expédié à Paris, il fait partie de la ménagerie du Jardin des Plantes : exposé à la curiosité du public il est désormais définitivement voué aux espaces limités, tributaire de l’ignorance ou de la cupidité des humains qui le détiennent.
Echangé en 1865 contre un rhinocéros, il est expédié au Zoo de Londres où il devient la nouvelle attraction. Sa taille adulte impressionnante de 4 mètres de haut attire les foules et surtout un public d’enfants, que Jumbo accepte patiemment de porter sur son dos. Parmi les millions d’enfants (!) ainsi juchés on cite les noms de Winston Churchill et Théodore Roosevelt, et de la plupart des enfants de familles princières de l’époque. Il est de bon ton de s’afficher avec l’immense Jumbo ; toute la presse britannique fait fête au pachyderme.
Mais le pacifique Jumbo, sujet au musth, syndrome lié à sa maturité sexuelle, devient violent et dangereux, on ne comprend pas bien ce qui se passe, on ne peut plus le mettre en présence d’enfants, il est question de l’abattre : nous sommes en 1882, Jumbo n’a que 21 ans.
C’est alors que le directeur du célèbre cirque américain Barnum achète Jumbo pour la somme énorme de 10 000 dollars, flairant sans doute le profit qu’il pourrait tirer de la présence de ce magnifique pachyderme dans son cirque. Il sait pourtant que comme tout éléphant d’Afrique, Jumbo est indressable. Il ne pourra qu’être exhibé dans des tournées dont on imagine les conditions de détention peu adaptées aux besoins élémentaires d’un tel animal.
Jumbo, transporté en bateau, débarque à New York en mars 1882, accueilli par une fanfare et une parade de cirque. C’est dans ce bruit, escorté par une foule de milliers de New-Yorkais en délire, qu’il traverse la ville. C’est le début d’une exhibition itinérante de 3 ans qui va attirer des millions de personnes aux Etats-Unis et au Canada et va rapporter au cirque un demi-million de dollars.
L’aventure prend fin en septembre 1885 quand Jumbo, qui voyage en train de ville en ville, est happé par une locomotive lors d’un déraillement et meurt dans cet accident largement médiatisé. Tout un symbole que cette collision où l’une des plus imposantes créatures de la planète, asservie par l’homme, est vaincue par la « civilisation » en marche sous la forme d’un monstre d’acier crachant sa vapeur !
Qu’importe pour la famille Barnum, même après sa mort, l’infortuné Jumbo peut encore rapporter. On continue à l’exhiber, empaillé, dans une mise en scène incroyable, aux côtés d’Alice, une éléphante figurant sa veuve endeuillée : pitoyable anthropomorphisme !
Jumbo a bénéficié d’une réelle popularité partout où il est passé et pourtant qui s’est soucié de la vie qu’on lui faisait mener ? Qui s’est rendu compte combien il était contre nature et cruel de l’arracher à sa terre natale pour en faire un animal de foire, parcourant les états dans l’agitation et le bruit d’une parade de cirque, sans aucune liberté ?