En ce dimanche 4 janvier 1903, l’inventeur Thomas Edison jubile. L’année commence bien, il va enfin pouvoir clouer le bec à son rival George Westinghouse et prouver qu’il possède la plus puissante infrastructure électrique d’Amérique. Son plan est spectaculaire et marquera les esprits. Il s’agit d’électrocuter publiquement un animal, mais cette fois l’ingénieur n’aura pas à tuer de vulgaires chiens ou chats.
Il l’a déjà fait de nombreuses fois en voulant prouver que, contrairement à la thèse de son adversaire, le courant continu est plus sûr que le courant alternatif. L’ingénieux bourreau, qui veut que son entreprise gagne la bataille d’électrification du territoire Américain, a trouvé une exécution à la hauteur de ses ambitions. Thomas Edison s’apprête à électrocuter le plus gros animal connu sur Terre… un éléphant.
La condamnée à mort s’appelle Topsy. Son crime est impardonnable aux yeux des humains, elle a osé se rebeller. Cette éléphante fait partie d’un groupe de pachydermes, appartenant au « Luna Park » de la péninsule de Coney Island, au sud de New-York. L’origine de Topsy est inconnue, elle a été amenée aux États-Unis vers 1875 par le Cirque Forepaugh qui l’a donné en spectacle dans tout le pays. Agée d’une trentaine d’année, ses mensurations sont impressionnantes et sa grande force a été utilisée pour la construction des attractions du parc de Coney Island. Mais Topsy a mauvaise réputation, en 1900 elle a tué deux de ses gardiens au Texas. De plus son dresseur Frédéric Ault, seul capable de la gérer, n’est pas fiable. En 1902, totalement ivre, il s’est baladé en ville sur le dos de Topsy en terrorisant les citoyens, jusqu’à l’intervention de la police.
Hélas, en cette année 1903, Topsy vient de tuer un troisième homme. Encore un gardien, qu’elle a saisi et fracassé par terre. Il faut dire que le bonhomme lui avait lancée une cigarette allumée dans la bouche. De quoi rendre l’animal le plus doux fou de douleurs et de colère. Les propriétaires du parc, Frederick Thompson et Elmer Dundy, décident alors que Topsy est devenue trop encombrante, plus rentable et décident donc de la faire mourir.
Mais rien n’est plus difficile que de tuer un éléphant. Peut-être pourrait-elle être pendue comme on l’a fait pour l’éléphant Mary big dans le Tennessee ? Non, la toute jeune Société américaine pour la prévention de la cruauté envers les animaux, (American Society for the Prevention of Cruelty to Animals ou ASPCA créée en 1866 par Henry Bergh) a fait savoir qu’elle s’opposait fermement à cette forme d’exécution qu’elle juge cruelle et inconvenante. La proposition de Thomas Edison d’électrocuter l’animal est donc acceptée avec soulagement.
Voici comment le journal « The Commercial Advertiser », du lundi 5 Janvier 1903, relata les faits : (…) Afin de rendre l’exécution de Topsy rapide et sûre, on l’a nourri avec des carottes mélangées à 460 grammes de cyanure de potassium. Ensuite, une aussière* a été mise autour de son cou (…). Puis des sandales de bois garni de cuivre ont été attachées à ses pieds. Ces électrodes sont reliées par des fils de cuivre à l’usine Edison lumière électrique et un courant de 6.600 volts a été envoyé à travers son corps. La grosse bête est morte sans un barrissement ou un gémissement (…).
Ce jour là, 1500 personnes sont venues se noircir l’âme devant l’abominable spectacle. Mais Thomas Edison a les moyens d’édifier le plus grand nombre. Il a pris soin de faire filmer toute l’exécution et, dès l’année suivante, diffuse les images à tous le territoire sous la forme d’un court-métrage muet et titré : Electrocuting an Éléphant **.
Ce ne fut pas la lumière qui jaillit de la sinistre invention d’Edison mais de profondes ténèbres. La chaise électrique, déjà mise au point depuis 1880 pour tuer des humains, fut utilisée dans de nombreux états. Jusqu’à ce qu’en 1990, enfin, des exécutions ratées en Floride attirent l’attention des médias. Alors, la chaise électrique, initialement inventée comme devant être un moyen d’exécution moderne et propre, a été très contestée puis abandonnée dans tous les États et lui fut préféré des moyens chimiques de mise à mort. A ce jour, 38 Etats américains prévoient la peine de mort dans leur législation, 12 l’ont abolie. Au premier janvier 2010, 3,261prisonniers attendaient dans les couloirs de la mort.
Il est étonnant que la grande nation Américaine qui proclame, jusque sur sa monnaie, « In God we trust »*** mette tant de zèle à désobéir au premier, au plus révolutionnaire et inconditionnel des commandements du Dieu Biblique : «Tu ne tueras point ».
Oui, même les éléphants.
M.C. Christaky
* Aussière ou haussière : gros cordage employé pour l’amarrage et le remorquage de navires.
**Electrocuter un éléphant.
*** « Nous croyons en Dieu »