Sophie Wyseur, vice-présidente de Code Animal, était présente en Afrique du Sud, dans la réserve de Shamwari en mai 2023 pour comprendre les enjeux de la conservation in-situ des animaux sauvages. Dans ce cadre, nous vous proposons une petite série d’articles pour partager avec vous ce retour d’expérience ! Bonne lecture !
Rodney, le chef de la sécurité, est un expert dans le domaine du crime organisé. C’est un véritable atout d’avoir une personne aussi compétente et impliquée comme lui à la tête d’une brigade anti-braconnage.
Il nous explique, qu’en ce qui concerne l’Afrique du Sud, les braconniers viennent des pays limitrophes, principalement Zimbabwe et Mozambique, où le niveau de vie de la population est extrêmement bas.
Ces braconniers se déplacent à pied, à raison de 5 km/ heure environ.
Ils arrivent dans les réserves, qu’ils choisissent souvent en fonction des données fournies par des informateurs locaux Sud-africains, des rangers, des policiers corrompus ou toute autre personne.
Ces braconniers ne connaissent pas les gens pour qui ils travaillent, ils sont les petites mains, tout en bas de l’échelle d’un système très bien organisé, comme c’est le cas pour les autres formes de trafic (armes, drogue…) qui sont d’ailleurs souvent interconnectés.
Arrêter un braconnier, il y en aura toujours un autre pour le remplacer.
Image Sophie Wyseur
Ces gens, qui vivent souvent dans une extrême pauvreté, n’ont pas la vision de la sauvegarde des espèces. Pour eux, il s’agit juste de survivre et de nourrir leur famille. D’ailleurs, avant leur périple, ils invoquent souvent leurs ancêtres lors de cérémonies rituelles pour leur porter chance dans leur entreprise, pour les guider vers telle ou telle réserve. Ils ont sur eux des « porte bonheur » pour que la chance soit de leur côté. Ils savent qu’ils risquent leur vie et ils n’ont souvent aucune conscience de la portée de leurs actes en ce qui concerne le maintien de la biodiversité !
Le but des brigades anti-braconnage est d’intercepter les braconniers avant qu’ils n’entrent dans la réserve, les rangers sont sur le terrain 24/24, il y a des caméras de surveillance disséminées à des points stratégiques, des chiens dressés spécifiquement pour ce genre de mission, qui peuvent suivre les traces olfactives des braconniers et le cas échéant, les stopper sur ordre de leur maître.
Image Sophie Wyseur – Issue de la présentation de Rodney Visser lors de notre visite au centre anti-poaching à Shamwari, avec son aimable autorisation.
Les braconniers tirent au fusil sur les animaux, ou les endorment en les fléchant, ce qui fait moins de bruit. Ils découpent alors les cornes de rhinocéros à la machette, laissant un trou béant sur la tête de l’animal. Le rhinocéros se réveille ensuite dans d’atroces souffrances, et meure dans l’immense majorité des cas en finissant de se vider de son sang.
Celui-ci a survécu à ses blessures, à cicatrisé mais a finalement était tué par un braconnier quelques temps plus tard…
Quand un braconnier tue un rhinocéros femelle, il fait en général trois victimes : la femelle, son petit qui est en général tué pour qu’il ne gène pas le dépeçage de sa mère (ou abandonné à son triste sort alors qu’il a encore besoin de soins maternels) et le bébé que porte la femelle.
Image Sophie Wyseur – Issue de la présentation de Rodney Visser lors de notre visite au centre anti-poaching à Shamwari, avec son aimable autorisation.
Il existe en fait plusieurs moyens pour faire cesser le braconnage des rhinocéros :
- Faire chuter les prix du marché, éventuellement en légalisant le commerce. En Afrique du Sud, la vente domestique (c’est-à-dire à l’intérieur du pays) de corne de rhinocéros est permise, si son origine peut être vérifiée. C’est ce qu’avaient réclamé les éleveurs de rhinocéros qui coupent régulièrement les cornes de leurs rhinocéros sous anesthésie générale et attendent qu’elles repoussent.
John Hume, le prix gros éleveur de rhinocéros d’Afrique du Sud, affirmait que si le commerce devenait légal et contrôlé, cela ferait mathématiquement baisser braconnage et trafic.
Mais les ONG n’ont jamais accrédité cette thèse car pour elles, une reprise du commerce domestique ne fait qu’augmenter la demande et donc encourager le trafic.
- Inonder le marché avec des cornes de rhinocéros d’élevage ne suffit pas à satisfaire la demande d’un marché potentiel de près de 2 milliards de personnes en Asie, principalement en Chine et au Vietnam.
Les ONG rappellent d’ailleurs l’exemple des éléphants d’Afrique qui ont été massacrés pour le commerce d’ivoire jusqu’à ce que ce commerce soit interdit par la Cites : le braconnage a diminué et la population d’éléphants a augmenté. Mais des pays ont obtenu des permis pour vider leurs stocks d’ivoire. La demande d’ivoire a alors augmenté à travers le monde et le braconnage a lui aussi repris.
Image Sophie Wyseur – Issue de la présentation de Rodney Visser lors de notre visite au centre anti-poaching à Shamwari, avec son aimable autorisation.
L’Afrique du Sud renferme environ 75 % des rhinocéros. La vente de leurs cornes est interdite à l’international mais il est de notoriété publique que les Sud-africains n’achètent pas de corne de rhinocéros. On peut donc avancer que ces ventes domestiques sont destinées à l’export, par des voies illégales.
Fin 2021, Interpol, grâce à l’opération baptisée Golden Strike, a procédé à des arrestations et des saisies à travers toute l’Asie et l’Afrique :
« Les renseignements échangés entre les 23 pays participants avant les opérations ont permis aux enquêteurs de cibler les nouveaux itinéraires de trafic d’espèces sauvages.
Les autorités malaisiennes ont saisi 50 cornes de rhinocéros arrivées illégalement du Mozambique, confirmant ainsi que les itinéraires traditionnels continuent d’être utilisés par les groupes criminels organisés responsables du trafic d’espèces sauvages entre l’Afrique et l’Asie. Les autorités du Qatar ont quant à elles saisi 10 kg de cornes de rhinocéros en provenance du Mozambique et à destination du Vietnam, ce qui montre que les produits issus d’espèces sauvages transitent de plus en plus par les pays du Moyen-Orient avant de rejoindre l’Asie.
Le confinement et les restrictions de voyage imposés au cours des 18 derniers mois en raison de la pandémie ont obligé les auteurs d’infractions visant les espèces sauvages à quitter les marchés physiques pour se tourner vers les marchés numériques. Les enquêtes ont révélé une augmentation des infractions de ce type commises à l’aide de sites de commerce électronique, de plateformes de médias sociaux et de groupes WhatsApp. »
Source
https://www.interpol.int/fr/Actualites-et-evenements/Actualites/2022/Saisie-d-ivoire-de-cornes-de-rhinoceros-et-de-parties-de-pangolin-et-de-tigre-en-transit-de-l-Afrique-vers-l-Asie
Image Sophie Wyseur – Issue de la présentation de Rodney Visser lors de notre visite au centre anti-poaching à Shamwari, avec son aimable autorisation.
Principalement au Vietnam, la croissance du pouvoir d’achat a entraîné l’apparition de certaines tendances comme la « consommation ostentatoire » et la « propriété individuelle » de spécimens uniques, précieux et rares de la faune sauvage. La corne de rhinocéros n’est plus seulement utilisée en médecine traditionnelle, elle est devenue un symbole de réussite sociale.
Selon Stéphane Ringuet, Responsable du programme Commerce des Espèces Sauvages Menacées au WWF France, « Il est important d’appuyer les stratégies de réduction de la demande dans les pays consommateurs d’Asie, au Vietnam en particulier. Cela peut passer notamment par le changement des comportements de groupes de consommateurs cibles en agissant sur les facteurs de consommation émotionnels et fonctionnels qui leurs sont propres. »
Le WWF, épaulé par l’agence française du développement, a mis en place un projet associant « des organisations de la société civile (OSC) à des personnes influentes auprès du public ciblé (dirigeants d’entreprise, leaders d’opinion, personnalités gouvernementales et icônes culturelles) pour les encourager à véhiculer des messages en vue de réduire la demande, en les transformant en acteurs du changement.
Source : https://www.wwf.fr/projets/reduire-la-demande-de-cornes-de-rhinoceros-au-vietnam
Photo credit : Unsplash
- Se servir de la technologie comme les drones, les caméras et systèmes placés dans les cornes qui se déclenchent quand l’animal meure (il faut savoir qu’en une nuit, les braconniers tuent plusieurs animaux, il peut donc être efficace que les équipes de surveillance reçoivent un signal dès le premier rhinocéros tué et puisse intervenir extrêmement rapidement pour stopper les braconniers )
- Les rangers, qui restent toute la nuit et toute l’année sur le terrain, avec une vigilance accrue les nuits de pleine lune quand la lumière est plus importante. Ils sont accompagnés dans leur mission de chiens spécialement dressés pour le pistage et le mordant.
Le travail des rangers sur le terrain est primordial même s’il faut savoir que les braconniers, qui sont donc les petites mains du trafic peuvent être immédiatement remplacés, reviennent dès qu’ils ont purgé leur peine (car ils n’ont pas vraiment d’autres moyens de subsistance pour eux ou leur famille), ou disparaissent quand ils sont placés en liberté surveillée …
- Implanter des puces électroniques dans les cornes pour que celles qui ont été braconnées et sont mélangées au marché légal domestique soient plus facilement repérables.
- Empoisonner les cornes pour rendre malades ceux qui consomment la poudre (peu efficace à priori car trop dilué), injecter des colorants dans les cornes …
- Améliorer le niveau de vie des populations dans les pays limitrophes et combattre vraiment la corruption en Afrique du Sud et ailleurs…vaste programme sans doute utopique !!
Lors de la découverte d’un rhinocéros braconné, une autopsie rigoureuse et enquête balistique sont systématiquement entreprises afin de récupérer le maximum de preuves, comme lors d’une enquête criminelle d’humain, afin de tenter d’arrêter les malfaiteurs et de remonter aux organisateurs.
Image Sophie Wyseur – De gauche à droite : Todd, Bazouka et Sophie
Les photos de cet article sont issues de la présentation de Rodney Visser lors de notre visite au centre anti-poaching à Shamwari, avec son aimable autorisation.
En savoir plus : https://static.us.eia.org/pdfs/EIA_US_CoP18_Rhino_report_0719_FRENCH_FINAL_060819.pdf
Sophie