Remise en contexte
En janvier 2014, lors d’une conférence publique à Maun (Delta d’Okavango au nord du Botswana), l’ancien président du Botswana, Ian Khama interdit la chasse aux trophées sur tout le territoire, y compris la chasse aux lions et éléphants, considérés comme « animaux problématiques » pour la population. Sa décision était motivée par les effets positifs de l’éco-tourisme en constante hausse et qui contribuait ainsi à 12% du PIB dans le pays. Les rapports mentionnaient également que la régulation des espèces par le biais de la chasse aux trophées atteignait ses limites puisque les licences avaient eu l’effet inverse et avaient contribué à plus de braconnage. Le rapport de l’ONG Eléphants Sans Frontière (présidée par Mike Chase) publié en 2010 confirmait bien la chute de la biodiversité dans le pays cela sans, cependant, en expliquer les causes exactes : 95% des effectifs d’Autruches, 66% des girafes, 90% des gnous, etc.
À la suite de l’interdiction de la chasse, les populations des grands animaux étaient en train de se stabiliser, surveillées en continue par des rangers armés contre les braconniers et financés par le Gouvernement.
Elu en avril 2018, cependant, le nouveau président, Mokgweetsi Masisi, a ordonné le désarmement des rangers des parcs nationaux sans aucune justification.
En juin 2018, le président demande à un comité d’analyser les répercussions qu’un moratoire sur l’interdiction de la chasse aux trophées aurait sur la biodiversité du pays. Cette décision intervient dans un contexte très précis qui est la cohabitation entre les activités humaines et la présence des éléphants. En effet, les populations locales se disent envahies par ces animaux qui détruisent leurs cultures et se reproduisent en masse.
Le 19 février 2019, le comité en question piloté par le ministre du Développement rural Frans van der Westhuizen rend son rapport et conseille au président de lever l’interdiction de la chasse aux éléphants sur les lieux publics.
Ce que préconise le rapport :
Publié le 21/02/2019 sur la page Facebook sur Gouvernement du Botswana, les recommandations du rapport sont les suivantes :
- Levée de l’interdiction sur la chasse.
- Développement d’un cadre légal pour l’industrie de la chasse aux trophées.
- Délimitation des parcs de chasse qui devront faire tampon entre les zones d’activités humaines et les habitats de la faune.
- Gestion des aires de répartition des éléphants.
- Fermeture des routes migratoires de la faune si elles ne sont pas bénéfiques aux efforts de conservations de la biodiversité du pays.
- Mettre en place une régulation réglementée et limitée des éléphants.
- Construire des clôtures dans les zones de conflits humains/animaux
- Mettre en place des indemnisations aux dégâts causés par la faune.
Selon le rapport, la chasse stimulerait le tourisme tout en régulant la population nationale des éléphants. La viande des animaux chassés pourrait également être utilisée en produit transformé comme de la nourriture pour les animaux de compagnie.
La décision quant à l’issu de ce rapport doit être discuté au Parlement.
Le Botswana est l’un des derniers pays en Afrique à avoir une politique de conservation des espèces stricte et interdit la chasse aux trophées à ce juste titre. Devenant ainsi l’une des destinations touristiques les plus prisées en Afrique pour l’éco-tourisme et les safaris photos des animaux. En remettant en place la chasse aux trophées, le pays pourrait bien devenir une destination boycottée par les touristes internationaux.
Humains – Eléphants : Une Cohabitation difficile ?
Selon les pro-chasses, la motivation première pour la levée de l’interdiction serait une augmentation critique de la population d’éléphants dans le pays.
Or, selon les derniers recensements réalisés par l’ONG Eléphants Sans Frontière en partenariat avec le Département national de la biodiversité et des parcs nationaux en 2010 et 2014, on estime la population des éléphants dans le pays à 130 000 individus. Ce chiffre est stable depuis plus de 15 ans. Mais les populations d’éléphants se déplacent ce qui peut expliquer l’impression de l’augmentation de leur nombre. Les recensements réalisés entre 2001 et 2017 ont montré que les éléphants vivent sur des zones 35% plus grandes en moyenne. Leurs déplacements sur des habitats plus vastes peuvent s’expliquer de plusieurs manières selon l’ONG : recherche de nourriture, recherche d’eau dans des plans artificiels à la suite de l’assèchement des rivières ou points d’eau naturels, le non-entretien des barrières qui font zone tampon entre les habitats humains/animaux et la fragmentation des terres qui empêche la libre circulation des animaux. Les changements climatiques ainsi que l’augmentation de la population humaine vont rendre les choses plus difficiles pour les éléphants.
La population totale d’éléphants en Afrique s’élevait en 2016 à 400 000 – 500 000 individus selon le rapport de l’IUCN. L’espèce est listée vulnérable.
Braconnés pour leur ivoire.
Ces dernières années sont les plus meurtrières pour les éléphants en Afrique depuis les années 1970-80. Les animaux sont braconnés pour leurs défenses qui valent de l’or sur le marché mondial. Le Botswana n’est pas épargné par ce trafic qui s’accentue d’année en année. Les populations d’éléphants se sont effondrées dans les pays voisins comme l’Angola ou la Zambie. Les braconniers viennent donc se servir dans les réserves du pays.
Le commerce d’ivoire est pourtant très réglementé dans le monde. Dans l’Union Européenne, il est légal de commercialiser des objets antiques en ivoire datant d’avant 1947. Après cette date, les objets doivent être accompagnés d’un certificat intracommunautaire. Après 1990, toute vente est interdite.
Selon le rapport AVAAZ de 2017, la majorité de l’ivoire vendu est d’origine illicite. Il serait vendu comme de l’ivoire antique légal ce qui contribue à son « blanchiment » avec des contrefaçon de permis. Des pays en Europe servent de lieu de transit vers l’Asie pour la contrebande d’ivoire d’éléphants d’Afrique.
Pour rappel, en France, à la suite de l’arrêté du 4 mars 2017 portant modification à l’arrêté du 16 août 2016, il est interdit de commercialiser des objets fabriqués après 1947 ou des pièces brutes d’après 1975 sauf dérogation.
Conclusion
La décision doit encore être débattue pour entrer en vigueur mais avec les élections générales au Botswana en octobre 2019, le gouvernement semble partir à la conquête de l’électorat locale avec des mesures superficielles qui pourraient mettre à mal la réputation du pays sur le reste de la scène européenne et donc se ressentirait sur le PIB national avec une chute de fréquentation des touristes.
La commercialisation d’ivoire doit être interdite pour soulager les populations d’éléphants en Afrique ainsi que les conflits inter-étatiques que ce trafic finance.
La mise en place de plans de sauvegarde pour les éléphants est complexe puisqu’il faut ménager les données scientifiques avec des croyances et valeurs locales. Une cohabitation entre humains et les autres animaux implique une volonté politique forte avec des programmes de sensibilisation et d’éducation autour des animaux, des allocations financières, des recherches sur les zones d’habitats des animaux, etc.
Le Botswana est aujourd’hui connu pour être la terre des géants, un refuge pour les animaux avec la plus grande population d’éléphants du continent. Si le pays répond aux attentes des chasseurs, alors il se privera de la demande mondiale grandissante de zones libres, éthiques et responsables pour les animaux.
Sources :
HANDOVER NOTES OF THE CABINET SUB COMMITTEE ON HUNTING BAN SOCIAL DIALOGUE REPORT BY HON FRANS VAN DER WESTHUIZEN MINISTER OF LOCAL GOVERNMENT AND RURAL DEVELOPMENT (21/2/19)
AFP
Continent-wide survey reveals massive decline in African savannah elephants 2016 Chase et al
Plan d’Action pour l’Éléphant d’Afrique – CITES 2010