De la compassion pour les poissons ?
On me demande parfois pourquoi en tant que végétarienne, je ne mange « même pas de poisson ». D’une manière générale, on s’étonne que « même pour des poissons » certains puissent éprouver de la compassion. On écrase une larme à la vue d’un éléphant dodelinant tristement dans une cage, ou à la limite, on esquisse une moue au rayon poissonnerie devant certains étalages un peu trop crus, mais rares sont les personnes réellement émues devant un poisson dans un aquarium.
Je pensais aussi que cela ne serait pas mon cas. Aussi ai-je récemment accepté de visiter en famille un grand aquarium dans une ville côtière en France. J’ai d’abord trouvé l’aquarium bien entretenu, équipé de panneaux solaires, constaté qu’une partie des recettes sont reversées à des associations de protection des tortues marines et trouvé de nombreux éléments pédagogiques expliquant au public les raisons de la disparition de certaines espèces (rejets de déchets, consommation d’ailerons de requins, etc).
Les poissons sont généralement tenus pour insensibles, même à la captivité. Or j’ai été frappée de constater que plusieurs poissons tournaient en rond dans leurs aquariums qui sont si bien éclairés, décorés, et équipés d’une vitre grossissante que l’on ne s’aperçoit pas à quel point ils sont en réalité étroits. Ils tournaient en rond, empruntant sans cesse le même circuit (vu l’espace à disposition, ils n’avaient pas l’embarras du choix…), se laissant même glisser de haut en bas le long de la vitre face aux visiteurs d’une manière assez étrange, apportant la preuve d’un véritable trouble du comportement.
Parce qu’ils n’ont pas de paupières, on a tendance aussi à dépeindre les poissons comme des animaux pourvus d’un regard fixe, sans expression. Pourtant, j’ai ressenti de l’émotion dans le grand regard rond d’un poisson citron, aux yeux bruns étonnants, qui lui donnent une expression assez proche de celle d’un chien.
Ils ne sont pas non plus « muets comme des carpes » : les poissons émettent toutes sortes de sons, de grincements qui sont amplifiés sous l’eau. C’est nous qui sommes sourds à leur langage.
Il est donc temps de tordre définitivement le cou au cliché du poisson rouge bien muet et bien idiot qui tourne en rond dans son bocal avec la plus parfaite indifférence à sa captivité.
Némo, Flipper et Willy : les poissons stars victimes de leur succès
Les poissons sont présentés sous des traits généralement sympathiques dans les films pour enfants et les dessins animés. Alors que le film d’animation Némo évoque largement le sujet de la captivité des poissons, son immense succès commercial a eu pour corollaire l’explosion des ventes des « poissons-clowns » désormais rebaptisés « némos » dans les animaleries et les aquariums. Dès 2003, un article de Libération s’en inquiétait et faisait état de vendeurs refusaient qui au nom de l’éthique de vendre ces poissons à des clients manifestement trop peu au fait des contraintes que représente l’entretien d’un aquarium en appartement.
Suite aux séries et films à succès mettant en scène des dauphins et des orques retrouvant leur liberté et sauvés des méchants pêcheurs ou des méchants propriétaires de parcs d’attractions, combien d’enfants et même d’adultes ont rêvé d’aller nager avec Flipper et Willy, ou de les voir sauter dans un bassin turquoise ? Des centaines de delphinariums et de parcs aquatiques ont depuis ouvert aux quatre coins de la planète pour satisfaire ce nouveau besoin.
Ainsi ces films, sous une fausse apparence militante (il ne s’agit en fait que de « bons sentiments » destinés à émouvoir le jeune public), ont en réalité principalement servi à entretenir cette industrie du divertissement par la privation de liberté.
Passer du désir de possession, à l’attitude de respect
Faisons un peu de psychologie de comptoir : le désir de possession semble être un penchant naturel chez les êtres humains. Posséder est un acte qui rassure. Pourtant, en grandissant, on s’aperçoit – en principe – que nous ne pouvons pas tout avoir, déjà parce que la plupart d’entre nous n’ont pas les moyens financiers de tout acheter, mais aussi sur un plan plus moral, parce qu’il n’est pas raisonnable de vouloir tout posséder et que le bonheur ne se laisse pas mettre en cage.
Ainsi plutôt que d’aller au zoo ou à l’aquarium, observons les animaux dans leur milieu naturel sans les déranger – ou ne les observons pas, nous les dérangerons encore moins.
Par exemple, un tour en bateau avec une cale transparente permettant de voir les poissons sous l’eau, ou une plongée à la nage, sont plus instructifs que la visite d’un aquarium. Dans leur milieu naturel, les poissons ne sont pas présentés comme à l’aquarium, véritable supermarché, dans leurs bocaux ou leurs bassins qui sont autant de barquettes en plastiques ou d’emballages sous vide, à peine plus grands. La balade ne permettra peut être pas de voir toutes les espèces que l’on aurait souhaité admirer. Mais c’est un apprentissage de la patience, de la rareté, et donc de la valeur de la vie.
Les aquariums, des machines à illusion
Loin de sensibiliser le public à la nécessité de protéger les espèces animales et végétales, les aquariums tout comme les zoos sont des machines à illusion et in fine de puissants outils de déresponsabilisation. Si tout est à portée de main et à portée d’appareils photo, alors à quoi bon protéger la mer et les cours d’eaux des pollutions de toutes sortes ? Puisque pour satisfaire notre avidité de « s’en mettre plein les yeux » on pourra toujours foncer à l’aquarium et en oublier que, dehors, au loin, dans l’océan, toutes ces espèces se meurent lentement à cause de la sur-pêche, de la pollution, du réchauffement des eaux, des modifications de leurs écosystèmes par l’espèce animale la moins respectueuse de toutes les autres… c’est-à-dire la nôtre.